A Tel-Aviv, s’aventurer au sud d’Allenby, vers Jaffa, c’est entrer dans un brassage spatio-temporel où ancien et nouveau convergent en un curieux mélange de style 50-60 et moderne. A l’origine zone industrieuse, Florentine a connu une sorte de renaissance inattendue, se muant peu à peu en lieu « cool » à la mode, combinant activités artisanales avec cafés branchés, marchés pittoresques, bars, boites de nuits et galeries à la place des anciens magasins familiaux. Quartier associé à la vie de bohème, il attire les artistes qui en ont fait leur port d'attache et toute une faune bigarrée.
Haut en couleur, Florentine offre un mélange d'éphémère et d’histoire inextricablement liés. Avec une population croissante de yuppies, le quartier semble bricolé de contraste et de mixité, entre traditionnel et contemporain. Ce caractère multiple en a fait un lieu d'inspiration pour les créateurs.
A l’origine peuplé tour à tour de Thessaloniciens, de Boukhariens, de Bulgares, de Turcs, d’Irakiens, puis de Polonais, de Hongrois, d’Egyptiens et de Lituaniens, ce petit village garde encore quelques traces des coutumes de chaque communauté, notamment les anciennes synagogues encore existantes.
Côté commerce, les boutiques du marché Haalya, rue Levinsky, vendent toujours des spécialités turques, grecques et roumaines, mais aussi de la viande, des fromages, des épices colorées et parfumées ainsi que des fruits secs. Elles jouxtent les restaurants et les traiteurs de même style. Jusqu’à aujourd'hui, Florentine reste célèbre pour ses borekas - met traditionnel des Balkans - maintenant considérés comme une spécialité nationale.
Non loin, les rues Wolfson, Matalon et Herzl sont bordées de nombreux magasins de meubles, de design, de déco et d'éclairage ; Dereh Yaffo concentre les grossistes en confection accessoires de mode et tissus. Ainsi pendant la journée, cette ruche s’anime : artisans, menuisiers, tapissiers, cordonniers, boulangers et livreurs s’activent. Piétons, voitures et cyclistes se partage l'espace des rues étroites, au milieu d’une cacophonie de klaxons et des cris d’automobilistes pressés. Mais chaque soir, après la fermeture des magasins et des ateliers, Florentine se transforme en lieu de divertissement.
Une page de l’histoire de Tel Aviv
Le nom du quartier vient de son fondateur, David Florentine, un Juif de Salonique, sioniste, qui achète le terrain à des Arabes à la fin des années 1920. A l’époque, le développement de la zone, en bordure de Neve Tzedek, est stimulé par la proximité de la voie ferrée Jaffa-Jérusalem. Les Juifs de Salonique commencent à construire leur nouveau quartier qui prend forme et grandit rapidement. En 1933, la municipalité permet aux commerces, industries légères et ateliers de s’ouvrir au rez-de-chaussée des bâtiments résidentiels neufs.
Dans les années 1940 et début 1950, il n’y a encore aucun café dans ce secteur bondé mais beaucoup de kiosques à boisson dont l’un d’eux perdure encore.
Néanmoins, dans les années 1960, Florentine décline en bidonville. En effet, la ville se déplace vers le nord. La plupart des anciens résidents de la classe moyenne déménage. Lentement, les bâtiments à l'abandon tombent en ruine. L’endroit devient le foyer d’une population pauvre et des travailleurs illégaux.
Dans les années 1980, la mairie de Tel Aviv prévoit de dégager et de rajeunir la zone mais le projet rencontre un succès limité.
Dix ans plus tard, une campagne de gentrification est parrainé par la ville pour tenter d’y ramener artistes, jeunes cadres et citadins branchés. Cela conduit au réinvestissement du secteur par une population intéressée par des appartements bon marché, l'architecture Bauhaus et la vie nocturne. Du coup, le quartier redevient un lieu ‘’in’’. La disponibilité de surfaces pas chères dans de grands bâtiments de style loft - impensable ailleurs à Tel Aviv - attire une communauté d'artistes et de designers qui créent la mode de transformer les édifices semi-abandonnés et ternes en espaces de vie et de travail. Utilisant ces larges aires délaissées, bars, restaurants et discothèques ouvrent dans le quartier. Florentine se mue en coin pour voir et être vu de la foule arty. A la fin des années 1990, il acquière une réputation d’hyper-branchitude. La population double presque, passant de 3900 habitants à 7000. Ainsi au fil des ans, ce « Soho Tel Avivien » s’« embourgeoise » si même la plupart de ses habitants restent plutôt jeunes (65% ont moins de 45 ans).
Dans la seconde moitié des années 2000, la demande de logements pas chers provoque un boom de l'immobilier à Florentine. La plupart des appartements originaux de trois pièces sont divisés en studettes et loués séparément. Les ateliers fermés se transforment en logis. De 2001 à 2010, les prix de l'habitat – vente et location – augmentent de 65%, comparativement aux 45% pour le reste de Tel Aviv.
Le quartier évolue. Les anciennes cantines communautaires font place à des boutiques plus en vogue et à des galeries. Les nouveaux restaurants attirent un large public.
En 2011, de nouveaux projets municipaux pour Florentine débutent. Avec un budget de plusieurs millions de shekels, le quartier est en travaux et rafraichi. Son aspect se modernise mais perd peu à peu de son authenticité. Les promoteurs s'arrachent les emplacements pour y construire des immeubles de classe, loin de l’habitat populaire des débuts.
Plus de 90 ans après que les premiers immigrants de Salonique aient acheté les vergers près de Jaffa, des plans drastiques de réaménagement de Florentine sont mis en œuvre. Plusieurs bâtisses sont ravalées. La construction de nouveaux bâtiments résidentiels est en cours dans de nombreuses rues du quartier et beaucoup sont prévus comme le grand complexe haut de gamme Rehov Abarbanel. Enfin, la zone industrielle historique de Volovelsky au sud de la rue Eilat doit être rasée pour faire place à un ensemble résidentiel destiné aux familles. Ainsi, les générations passent et le quartier change, à l’image du pays.
Noémie Grynberg / Israel Magazine 2016