Noémie Grynberg Penser le monde : information et analyse

Moshe Safdie : un urbaniste visionnaire

Montréal, Jérusalem, Salt Lake City, Singapour, Vancouver, Ottawa… Le célèbre architecte israélo-canadien a signé des œuvres aux quatre coins du monde. Mais surtout, son nom reste associé aux projets monumentaux de la Jérusalem moderne. Urbaniste visionnaire, théoricien et enseignant, Moshe Safdie est adepte d’une philosophie conceptuelle fondée sur la globalité et l’humanisme.

Devinette : qu’ont en commun à Jérusalem la Vieille Ville restaurée, le parvis du Mur Occidental, la Yeshivat Porat Joseph, l’Hôtel Citadelle David, le nouveau Muséum Yad Vashem, le centre commercial Mamilla, la ville de Modi’in ou le Center Rabin de Tel-Aviv ? Un homme : l’architecte d’origine israélienne Moshe Safdie. Au travers de ces réalisations, l’architecte a donné un sens de l'intégration des places publiques : il y a mixé le caractère religieux de la ville et y a transposé l’attribut des places extérieures dans des espaces intérieurs. Ce travail particulièrement intéressant a eu d'importantes répercussions sur ses œuvres réalisées par la suite au Canada.
L’œuvre de Safdie se divise en 4 périodes : celle d'Habitat 67, son travail à Jérusalem, sa phase américaine où il s’intéresse aux grandes institutions publiques et la phase actuelle démarquant un changement d'échelle.

Tout a commencé à Haïfa, dans le nord d’Israël où Moshe Safdie voit le jour le 14 juillet 1938. Mais la famille, d’origine syrienne, émigre au Canada lorsque le jeune homme a 15 ans. En 1955, Moshe Safdie s'installe à Montréal, apprend l'anglais, puis s'inscrit en architecture à l'Université McGill.
Pour sa thèse, il conçoit un immeuble d'appartements et obtient son diplôme en 1961. Il débute sa carrière en tant que stagiaire dans l'agence de l'architecte Louis I. Kahn à Philadelphie.
habitat-67.jpgTrois ans plus tard, alors que Moshe Safdie n'a pas encore 30 ans, le gouvernement fédéral canadien retient son modèle d'habitation audacieux et futuriste, adaptation de son projet de fin d’études, pour l'Exposition universelle de Montréal en 1967. Pour concevoir ‘’Habitat 67’’, le créateur s'inspire des jeux de Lego et des maisons de sa ville natale. L'architecte veut introduire un nouveau style de vie urbain, un ensemble où plusieurs familles peuvent se loger dans un espace réduit. Ce prototype révolutionnaire de complexe résidentiel formé de trois immeubles à la géométrie très libre, superpose sur douze étages, des appartements usinés dans des blocs de béton préfabriqués, disposés en quinconce sur une structure en zigzag. Ces assemblages forment des unités d'habitation à mi-chemin entre l'appartement et la maison individuelle. De vastes terrasses en gradins reposent sur les toits de chacun des logements, formant des pyramides entrelacées.
Le projet qui devient le point central de l’Exposition Universelle, rapporte à son concepteur une renommée mondiale et lancer son illustre carrière. Cette expérience innovante d'architecture modulaire en préfabriqué suscite un vif intérêt dans le monde entier, notamment dans le quartier de Ramot à Jérusalem quelques années plus tard, mais ne sera pas généralisée car elle sème aussi la controverse. Certains crient au génie alors que d'autres prévoient l'écroulement à court terme de ces « boîtes empilées ».
Aujourd’hui, ‘’ Habitat 67’’ est classé monument historique par Québec. Moshe Safdie y possède toujours son propre appartement, le seul à conserver tout son aspect original. Il souhaite d’ailleurs en faire cadeau à une institution publique, musée ou université ouverts au public, comme espace de rencontres.

A la suite de cette réussite urbanistique, Moshe Safdie crée ses propres agences d'architecture à Montréal, Jérusalem puis Boston. Il s’implique également dans des pays émergents comme le Sénégal, l’Iran et Singapour.
Mais en 1969, il manque de peu de remporter le grand projet de construction du futur Centre Pompidou de Paris, en terminant deuxième.
Qu’importe. En quelques années, le designer décroche plus de commandes culturelles que n'importe quel architecte canadien. En 1978, Safdie est nommé professeur d'urbanisme et directeur du centre d'urbanisme à la Graduate School of Design de Harvard.

Jusqu’en 1988, il ne réalise plus rien au Canada. Mais à partir de cette date, il y laisse sa marque en menant quatre projets de front. Il réalise le Musée des beaux-arts de Montréal et d’Ottawa, le Musée de la civilisation à Québec et la bibliothèque de Vancouver.
Au cours des dernières décennies, Safdie a mené à terme un large éventail de projets : établissements culturels, d’enseignement et communautaires ; quartiers et des parcs publics ; centres urbains à vocation mixte et aéroports ; de même que des plans directeurs pour des collectivités existantes et pour des villes entièrement nouvelles.
A maintenant 73 ans, Safdie réside et travaille principalement à Boston où il continue d’enseigner à Harvard.

Tout au long de sa carrière, Moshe Safdie a construit des édifices imposants, mais pas intimidants. Il possède un sens de la monumentalité tout en intégrant la lumière naturelle.
Avant de concevoir les plans d'un bâtiment, l’architecte-designer s'imprègne de l’environnement. Il marche dans le voisinage, regarde, écoute pour trouver son inspiration. Safdie aime que l'habitat soit intégré naturellement au lieu physique et aux coutumes locales. Il défend une architecture ancrée dans les éléments géographiques, sociaux et culturels qui définissent un lieu et répondent aux besoins et aspirations des gens. L'universalité de Safdie se définit justement dans sa sensibilité aux différentes traditions populaires et dans sa capacité à fondre ses édifices dans leur milieu immédiat. Travaillant pour tous les horizons et toutes les influences (religieuses, culturelles), il réfléchit sur le sentiment d'appartenance, sur l'identité. A l’opposé, il blâme certains architectes d'avoir inventé un nouveau type de cité synthétique, organisé selon un ordre préétabli. Selon lui, ce sont les sociétés qui doivent être à l'origine des villes, pas l’inverse.


Noémie Grynberg / Israel Magazine 2011

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