L’énigme de la mort du Professeur de médecine belge Joseph Wybran vient d’être élucidée, 20 ans après le drame. De Belgique au Maroc, la traque pour retrouver le ou les auteurs de cet assassinat semble avoir pris fin après une longue épopée rocambolesque où terroristes et autorités judiciaires ont joué au chat et à la souris pendant des années.
Dans la Forêt des Belges à Nevé Ilan, dans le bosquet planté à la mémoire de Joseph Wybran, une émouvante cérémonie pour marquer les 20 ans de sa disparition, a réuni plusieurs hautes personnalités diplomatiques (Herman Declercq, Consul de Belgique en Israël, Avi Primor, ancien ambassadeur d’Israël en Belgique), associatives (Sally Zajfman, Président de l’Association des Juifs originaires de Belgique en Israël, des représentants B’nai Brith) et officielles (Yaakov Moreno, Directeur Europe de l’Agence Juive) ainsi que ses 4 amis d’enfance et sa veuve, Madame Emmy Wybran, venue spécialement de Bruxelles à cette occasion. L’assistance a salué le souvenir d’un homme de science connu internationalement et d’un responsable communautaire engagé, assassiné gratuitement parce que Juif.
Dans son allocution, Avi Primor a été sans équivoque. Pour lui : ‘’Les vrais assassins de Jo Wybran sont en fait les dirigeants et commanditaires du terrorisme international : l’Iran.’’
Mais qui était Joseph Wybran ?
Joseph Wybran est né à Bruxelles en mai 1940, de parents lithuaniens immigrés en Belgique dans les années 1930. Pendant la Shoah, le jeune Jo est caché par une famille belge.
Adolescent, il fréquente le mouvement de jeunesse sioniste religieux du Bnei Akiva.
En 1958 Joseph Wybran entre à l’ Université Libre de Bruxelles où il mène de brillantes études de médecine qui lui valent en 1965 le titre de Docteur avec grande distinction et le Prix Spécial de la Faculté.
Pendant ses études universitaires, Jo Wybran est élu Président des Etudiants Juifs de Belgique.
Lors de son service militaire, il sert comme Officier-médecin dans les Forces de l’Armée belge en Allemagne. Son dévouement lui vaut d’être cité à l’ordre du jour de l’Armée pour acte de bravoure.
En 1970, Joseph Wybran part aux Etats-Unis où il complète sa formation clinique. Au Veterans Administration Hospital de San Francisco, il se passionne pour l'immunologie, domaine dans lequel il apporte une contribution majeure.
En 1974, reconnu comme spécialiste en Médecine Interne, Joseph Wybran regagne le Service d'Immunologie – Transfusion de l'Hôpital Universitaire Saint-Pierre de Bruxelles. Ses recherches de haut niveau font de lui l’un des pionniers d'une nouvelle discipline : la psychoneuroimmunologie. En 1977, sa thèse lui vaut l'obtention du titre d'Agrégé de l'Enseignement Supérieur de l’Université. Joseph Wybran poursuit simultanément une formation en biologie clinique dont il sera reconnu spécialiste en 1980. Il devient le chef du service d'immunologie-hématologie-transfusion de l'Hôpital Universitaire Erasme à Bruxelles en avril 1982. Il poursuit ses recherches en immunopharmacologie, en particulier dans le domaine du cancer et du SIDA.
Juif engagé, le Professeur Wybran est élu en 1987 à la présidence du Comité de Coordination des Organisations Juives de Belgique (CCOJB). Il s’implique personnellement dans la lutte contre à l’érection d’un couvent de Carmélites sur le site du camp d’extermination d’Auschwitz en Pologne. A la tête d’une délégation européenne, il rencontre les cardinaux représentant le Pape afin de trouver une solution acceptable.
Mais soudain, sans que l’on sache à priori pourquoi, Joseph Wybran est assassiné dans l’enceinte de son hôpital le 3 octobre 1989. Ce soir-là, dans le parking de l’établissement, le Professeur Wybran reçoit une balle dans la tête à bout portant. Il est découvert gisant à terre dans son sang. Transporté d’urgence en salle d’opération, une équipe chirurgicale tente de le sauver. En vain. Le Professeur Wybran décède dans la nuit. La Belgique lui organise des obsèques nationales. La communauté juive est en état de choc et les questions restent sans réponses.
Qui et pourquoi ? Les rebondissements de l’affaire
Qui est à l’origine de cet assassinat et pourquoi ? Durant de longue années, cette énigme reste en suspens. Plusieurs pistes sont envisagées : celle des Carmélites d’Auschwitz, celle d’étudiants cherchant à se venger de leur professeur, celle de terroristes moyen-orientaux. En fait, dès 1982, la Belgique connaît une vague de violence. Une synagogue bruxelloise est s’attaquée et 2 agents de sécurité blessés. En 1989, peu avant le meurtre du Professeur Wybran, des terroristes capturent le yacht d’une famille belge croisant en Méditerranée. Pour libérer les otages, le gouvernement belge paye la rançon exigées par les terroristes d’Abu Nidal. Ces précédents sont-ils un indice ? La police belge piétine. Aucune enquête judiciaire n’aboutit à des résultats probants. Jusqu’en 2008. Rebondissement : l’arrestation au Maroc d’une douzaine d’activistes islamiques soupçonnés d’appartenir au réseau Al-Qaida et de comploter contre le roi Mohammed VI. Parmi eux, Abdelkader Belliraj, 51 ans, citoyen belgo-marocain, soupçonné d’actes terroristes et de participation à des filières islamistes violentes. Immigré en Belgique, A. Belliraj fréquente dès 1979 les cercles de l’islam radical. Son parcours le conduit en 1983 au Liban dans les camps d’entraînement du Hezbollah pour apprendre le maniement des armes et explosifs et lui permettre de diriger un réseau terroriste international ayant comme cible tout élément musulman modéré. A. Belliraj se rend ensuite en Algérie où il est recruté dans les rangs de l’organisation Abu Nidal. Son périple se poursuit en Afghanistan et au Pakistan. Bien que connu du Parquet bruxellois dès 1986 pour trafic d’armes, détournements d’argent et liens avec des organisations terroristes extrémistes, Abdelkader Belliraj avoue aussi travailler à cette époque pour les services de la Sûreté de l’Etat belge. Il est probable qu’il ait officié comme agent double. Ce qui expliquerait son impunité et l’obtention la nationalité belge en 2000.
La capture d’Abdelkader Belliraj au Maroc ouvre donc une nouvelle piste dans la recherche des assassins de Joseph Wybran. Au cours de ses interrogatoires, A. Belliraj avoue avoir dirigé entre 1988-1989, l’assassinat de 6 personnalités juives et non-juives sur le territoire belge, dont l’imam de la Mosquée de Bruxelles et le Professeur Wybran, et ce sur ordre du terroriste palestinien Abu Nidal de triste mémoire, dissident de l’OLP ayant commandité et participé à des dizaines d’attentats dans plus de 20 pays, entraînant plus de 400 morts et des milliers de blessés.
Belliraj déclare avoir conduit son comparse sur les lieux de l’assassinat, lui avoir indiqué sa cible et avoir récupéré son complice pour le faire disparaître dans la nature. D’après les dires de Belliraj, ce comparse réside toujours en Belgique. Interrogé par les autorités judiciaires belges, il a été relâché faute de preuves. Il vit donc libre.
Finalement, Abdelkader Belliraj est condamné par la justice marocaine à la prison à vie bien qu’il nie les charges retenues contre lui et prétende que sa confession lui a été extorquée par la force et sous la tortue. Pour l’instant, le Maroc refuse son extradition vers la Belgique où les dossiers concernant les activités et les meurtres de ce terroriste sont toujours à l’instruction. L’affaire « Joseph Wybran » n’est donc toujours pas close. Ses proches attendent encore que justice soit faite.
Israel magazine / Noémie Grynberg 2009