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Noémie Grynberg Penser le monde : information et analyse

La littérature juive contemporaine

L’existence du peuple juif est indissociable de celle du Livre, des livres. L’écriture y occupe une place centrale depuis toujours.

C’est un fait, le pourcentage de Juifs dans la discipline littéraire est important. Simple hasard ? Il semble que le rapport des Juifs aux livres soit presque physique. Très tôt, dès son plus jeune âge, l’enfant est mis en contact avec l’univers livresque. Il se familiarise vite avec cet environnement de l’écrit.
Comment analyser ce phénomène de proximité entre littérature dans son ensemble et auteurs juifs dans leur particularité ? Pour le penseur Marc Alain Ouaknin, dans le judaïsme le rapport au livre est une des conditions sine qua non de la possibilité même de la vie : ‘’Parmi les 613 commandements, le dernier, l'ultime, est justement l'obligation pour chaque homme et pour chaque femme d'écrire un livre - la Torah ou ses commentaires, ou, de façon dérivée, toute autre forme d'écriture, poésie, roman, essai.’’

La littérature : une discipline juive
Selon Alexis Lacroix(1) ‘’Depuis le Béréshit de la Thora, un lien d’affinité s’est noué entre la perpétuation du peuple juif et l’aventure littéraire’’. La littérature juive semble fondée sur une transmission de l’écrit, une sensibilité particulière qui se rattache aux sources de la tradition et ce, quelle que soit la langue utilisée. D’après le philosophe Alain Finkielkraut, pour les auteurs juifs, ‘’la sortie de la religion ne s’accompagne pas d’une sortie du judaïsme ’’(2). Ils restent attachés à leur culture et leur identité, à leur judéité comme la nomme le premier l’écrivain Albert Memmi afin de distinguer plus radicalement la doctrine religieuse (le judaïsme) du sentiment subjectif d’appartenance. Ce qui ne réduit nullement ces auteurs à de la littérature communautaire. Au contraire, leurs œuvres s’adressent à l’universel. ‘’Le problème juif est l’illustration la plus simple et la plus profonde du problème humaine’’ écrit le philosophe Léo Strauss.
Selon Dov Sadan, éminent spécialiste de la littérature hébraïque, les Juifs qui ont choisi de rejoindre la littérature universelle en utilisant les langues non juives, restent au fond malgré tout Juifs, comme une trace inconsciente de leur processus d’assimilation dont l’exemple est Kafka. Il y a dans les livres de ce dernier une essence juive mais en même temps, sa littérature ne rentre pas dans la catégorie de ‘’littérature juive’’ proprement dite. Pour définir si une littérature est juive, Sadan propose 3 critères : les intentions de l’auteur, le sujet de l’œuvre et le public des lecteurs. Si les 3 critères sont remplis, il s’agit bien de ‘’littérature juive’’. D’après cette définition, on constate que la majorité des œuvres contemporaines écrites par des Juifs se situe plutôt dans la littérature générale. Ainsi, la littérature juive n’est pas exclusive. Elle peut simultanément appartenir à une autre culture et l’enrichir. Autrement dit, les messages qu’envoient les auteurs ne sont pas destinés simplement à leur communauté mais à l’humanité dans son ensemble, sans frontière ethnique, raciale ou religieuse. Quelque chose de commun transcende les écrivains juifs, une identification linguistique : des tendances stylistiques, un vocabulaire, une rythmique des phrases, un référentiel aux textes canoniques ; une reconnaissance symbolique par des expressions, des notions, des expériences qui construisent les codes internes de la réalité juive que seuls ceux qui s’y sentent liés peuvent déchiffrer entièrement ; une identification fictionnelle dans les personnages typiques comme des archétypes qui révèlent l’expérience juive (l’immigrant, la mère juive, le psychiatre, le renégat, le réfugié, le survivant, etc.). Même si ces écrivains sont passés par un processus d’émancipation, d’assimilation, de migration, leurs racines restent juives et remontent loin dans l’histoire.
Clara Lévy, sociologue, a étudié le lien de réciprocité entre écriture et identité : ‘’les écrivains juifs contemporains de langue française utilisent leur expérience, notamment biographique, comme matériau littéraire’’. Elle décrit : ‘’On peut noter, chez les écrivains juifs contemporains, une volonté assez générale d’insérer les épisodes racontés au sein d’un mouvement historique plus large. Autrement dit, même les ouvrages consacrés à la période la plus contemporaine sont émaillés de références à de lointains événements, puisés dans la Bible ou l’histoire juive ; même les histoires les plus individuelles et les plus ponctuelles sont systématiquement contextualisées dans une optique collective de long terme. [×××] Un certain nombre de similitudes thématiques peuvent être mises en évidence. La ressemblance la plus évidente entre tous ces textes concerne leur intense tonalité nostalgique, la mémoire, le souvenir, le témoignage.’’
On peut cependant noter des différences entre littérature sépharade et ashkénaze, du fait d’une histoire et d’un ressenti différents.

La littérature yiddish, littérature typiquement juive
Le yiddish, même s’il a perdu beaucoup de terrain dans le monde ashkénaze, n’est cependant pas une langue tout à fait morte. Beaucoup d’initiatives ont été prises à divers niveaux pour préserver cet immense patrimoine culturel. Sur les 11 millions de personnes dont le yiddish était la langue maternelle avant la Shoah, il en reste 2 millions aujourd’hui dont c’est la deuxième langue, principalement aux Etats-Unis et en Israël, mais aussi en Europe orientale et occidentale.
Ainsi, parallèlement aux langues non juives, la littérature yiddish contemporaine a continué d’exister mais est en diminution constante : 1.200 livres yiddish ont été publiés aux Etats-Unis et au Canada entre 1945 et 1984, 500 de 1945 à 1954, 370 de 1955 à 1964, 200 de 1965 à 1974 et 80 de 1975 à 1984. En France, plus de cent titres ont été édités entre 1948 et 1983. En Israël de 1964 à 1971, une quinzaine de livres de fiction et de poésies yiddish ont également été tirés. De nos jours, à New York, Saint-Pétersbourg, Londres ou Tel Aviv, une nouvelle génération d’écrivains yiddish apparaît. Côté orthodoxe également, une nouvelle lignée d’auteurs yiddish émerge avec, chose étonnante et inattendue, une nouvelle vague de romans d'espionnage devenus un genre populaire parmi les communautés hassidiques.

Les Juifs dans la littérature mondiale
Depuis plus d’un demi siècle, la littérature juive américaine très féconde, plutôt ashkénaze, est regroupées sous l’appellation ‘’d’école de New York’’. Parallèlement, depuis vingt ou trente ans, on constate en France une floraison du genre autobiographique juif : Albert Cohen le "précurseur", Albert Memmi, Jean Daniel, Jean-Luc Allouche, Georges Perec, Pierre Goldman et bien d’autres. Cependant, il n’existe pas vraiment d’école française de la littérature juive même si ses auteurs sont nombreux et que leurs sujets sont souvent communs.
Outre les champs proprement juifs (pensée juive avec André Neher, Benjamin Gross, Emmanuel Levinas, Armand Abécassis, Edmond Fleg ; Israël avec Michel Gurfinkiel, Frederic Encel ; langues (hébreu, araméen, ladino), hassidisme, monde sépharade et ashkénaze, etc.) la littérature juive contemporaine s’est investie dans pratiquement tous les espaces du roman avec des figures telles que Romain Gary, Patrick Modiano, Gilles Rozier, Philip Roth. Elle comprend aussi plus largement les domaines de connaissance où de grands auteurs se sont illustrés et sont devenus des référence dans la philosophie (Alain Finkielkraut, André Gluksman, Vladimir Jankélévitch), l’histoire (Marc Bloch, Jules Isaac, Raoul Hilberg), la politique (Raymond Aron, Hanna Harent), la psychologie (Boris Cyrulnik), les sciences humaines (Shmuel Trigano, Jacques Tarnero), l’antisémitisme (Léon Poliakov), la Shoah (Primo Lévy, Samuel Pisar ou Eli Wiesel) et bien d’autres encore. La liste n’est pas exhaustive, loin de là.
Cette contribution prolifique à la littérature mondiale a été récompensée 12 fois par la plus haute distinction, le Prix Nobel : en 1910 avec Paul Heyse (Allemagne), 1927 avec Henri Bergson (France), 1958 avec Boris L. Pasternak (Russie), 1966 avec Shmuel Yosef Agnon (Israël), 1966 avec Nelly Sachs (Allemagne), 1976 avec Saul Bellow (Canada), 1978 avec Isaac Bashevis Singer (USA), 1981 avec Elias Canetti (Grande Bretagne), 1987 avec Joseph Brodsky (USA), 1991 avec Nadine Gordimer (Afrique du Sud), 2002 avec Imre Kertesz (Hongrie), 2005 avec Harold Pinter (Grande Bretagne).
Un beau palmarès en somme.


Israel Magazine / Noémie Grynberg 2008 

[1] Le magazine littéraire n° 474 avril 2008
[2] Idem

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Commentaires

  • jean villemin

    1 jean villemin Le 31/03/2010

    ROMAN AVEC GOLEM
    Il y a un lien entre l'histoire du Golem, créature d'argile qui vivait dans les combles de la Synagogue Vieille-Nouvelle de Prague, des chaussures abandonnées le long de l'autoroute E51, le poil de martre kolinsky dont on fait les pinceaux, la Ronde de Nuit, tableau de Rembrandt Harmenszoon van Rijn.

    Ce fil ténu commence par une histoire d'auréole sur le mur d'une synagogue en Lorraine, histoire brisée par l'explosion d'un obus de la Deuxième Guerre oublié dans la terre glaise, traverse Berlin-Est Unter den Linden 6 et se terminera dans un grenier poussiéreux dans une ruelle qui n'existe plus.

  • bnouhanna

    2 bnouhanna Le 06/06/2010

    permettez moi de vous dire que c est la communications entre les peuples pour arriver à une paix qui nous manque.
    je pose une question est ce que les associations ont remplis ce vide?
    les personnes des années cinquante meurent et l histoire avec eux?????????????????
  • yacov charbit

    3 yacov charbit Le 26/06/2011

    ]shalom, je serais heureux d'avoir votre avis, vos commentaires et critiques sur mon blog aufildesmots.com. Ce blog se veut une defense du peuple juif et d'israel a travers le prisme des litteratures juives du monde. J'y ajoute mes reactions a chaud sur l'actualite et je presente mes textes et nouvelles passees et presentes.
    Merci d'avance

    yacov charbit







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