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Noémie Grynberg Penser le monde : information et analyse

Les Juifs de la Grande guerre : le prix du sang

Voilà 100 ans, éclatait la Première guerre mondiale qui allait bouleverser le 20e siècle. Durant le conflit, près de 1,5 million de Juifs sont mobilisés. Sur les 13 millions de morts, on recense 170.000 Juifs dont 90.000 Russes, 12.000 Allemands, 8.500 Britanniques, 6.800 Français et 3.500 Américains.

La Grande guerre parait pour les Juifs l’occasion d’affirmer leur loyauté patriotique. Devenus citoyens à part entière depuis peu, ils veulent partager le sort de leur Nation adoptive jusqu’à en payer le prix du sang. Que ce soit du côté de la Triple-Entente (France, Royaume Uni, Russie) et son allié l’Amérique ou de la Triplice (Allemagne, Autriche-Hongrie, Italie) et son allié l’Empire ottoman, nombreux sont ceux qui prennent les armes. Le rôle des médecins militaires Juifs, notamment les chirurgiens, s’avère tout aussi primordial. En 1915 en Suisse, le Docteur Erlanger créé le Magen David Adom : une œuvre chargée d'aider "les prisonniers de guerre  et internés civils, de religion juive et de tous pays". Quant aux femmes des deux bords, elles participent aussi à l’effort commun comme infirmières ou marraines de guerre, s’impliquant dans les œuvres charitables. Pendant que sur le terrain, de part et d’autre, certains combattants célèbrent sous les bombes Hanoucca, Pessah ou Rosh Hashana.

Du côté de la Triple-Entente
Les Juifs de France sont particulièrement déterminés à témoigner de leur attachement républicain. Cette guerre est considérée comme l’apothéose de leur émancipation. Les institutions religieuses forment et envoient des aumôniers, souvent rabbins, afin d’apporter un réconfort spirituel aux soldats. La plupart des rabbins prêchent le sacrifice qu’ils présentent comme la clef de l’intégration. De la sorte, les Juifs français participent aux durs combats dans la Somme, en Artois et en Lorraine. Le futur Grand rabbin de France, Jacob Kaplan, alors séminariste de 19 ans, est lui-même mobilisé comme fantassin en décembre 1914. Il connait les tranchées, est blessé et endure l'enfer de Verdun. Son courage lui vaut la Croix de guerre. Quant au Grand rabbin de Lyon, Abraham Bloch, alors aumônier et brancardier, il est tué sur le front des Vosges. En tout, le nombre de morts Juifs se révèle légèrement supérieur à la moyenne en France. Parmi eux, beaucoup de Français de la première génération, voulant remercier la République de son accueil.
De leur côté, les Juifs d’Algérie montrent leurs sentiments patriotiques en répondant à l’appel de la mère-patrie. Pour la plupart, ils effectuent leur temps de service dans les régiments de zouaves. Lorsqu’ils ne servent pas dans ces unités, ils le font en grande majorité dans les corps d’armée méridionaux, notamment le 15e et 16e ainsi que le 112e Régiment d’Infanterie provençal. Ainsi, c’est plus de 36.000 des 180.000 âmes juives de France et d’Algérie sur une population totale de 39 millions d’habitants, qui combattent sous le drapeau tricolore.
CvfParallèlement, originaires des empires russe et ottoman, 8.500 Juifs étrangers s’engagent dans l’Armée française, mus par cette volonté de prouver leur reconnaissance à l’égard du « pays des droits de l’homme ». Dès le 2 août 1914, un comité pour les engagements volontaires lance un « Appel aux Juifs étrangers en France ». La réponse est immédiate et 4.000 jeunes, dont plusieurs centaines d'universitaires et d'étudiants, répondent à la convocation d’un même élan. Ce nombre augmentera journellement. Beaucoup d’entre eux servent dans le 1e Corps Étranger des Brigades d'Infanterie. Ceux-ci payent un lourd tribut avec 500 morts. Au total, 1.200 Juifs immigrés tombent au cours de la Première Guerre Mondiale sur le sol français. En outre, par centaines, les volontaires Juifs accumulent hautes distinctions, citations diverses et Légion d' Honneur. Un sentiment les unit tous : l'attachement à la France et à la Liberté.
C’est une même loyauté porteuse de valeurs d’égalité qui habite les 500.000 des 5,5 millions de Juifs russes qui intègrent fièrement et courageusement l'armée tsariste d’avant la Révolution.
Outre manche, 50.000 des 270.000 Juifs britanniques, sur les 46 millions d’habitants de Grande-Bretagne, partent au front. Sans oublier les 20.000 Juifs engagés volontaires dans les forces de Sa Majesté. En Orient, contre l’Empire ottoman alors maître d’Eretz Israël, se dressent des Juifs anglais et ceux du 38e bataillon des Royal Fusiliers de la Légion juive dirigée par le colonel John Henry Patterson. Créée en 1915 par Joseph Trumpeldor afin d’aider les Britanniques à vaincre l’Empire ottoman et surtout d’obtenir l’appui du Royaume-Uni dans le projet de fonder un État juif au Moyen-Orient, la Légion juive forme trois bataillons de l’armée britannique. L’un d’eux, composé de réfugiés Juifs ayant lutté sur les lignes de front à Gallipoli (bataille des Dardanelles - Turquie), constitue sa base. Un autre, comptant exclusivement des Juifs nord-américains désireux de s’engager dans les combats, recrute la majorité de ses membres à Montréal au Québec. 350 à 400 Canadiens s’y enrôlent. En 1918, la Légion juive participe pour la première fois à la bataille de Megiddo, dans la plaine du Sharon.
Enfin outre Atlantique, à partir de 1917, 250.000 Juifs Américains dont 40.000 portés volontaires, rejoignent les champs de bataille.

Du côté de la Triple Alliance
Pour bien des Juifs allemands, la guerre semble également l'occasion de prouver leur dévouement à l'Empire. En tant qu’Allemands, les Juifs ressentent la nécessité de défendre leur pays. Pour concrétiser leur attachement à la Nation, ils se montrent eux aussi prêts à verser leur sang. En conséquence, en 1914, les organisations juives appellent leurs membres, par de nombreux tracts et proclamations, à s'inscrire à l'armée. Obéissant à la consigne, quelque 100.000 des 480.000 Juifs allemands, sur une population de 65 millions d’habitants, se mobilisent et parmi eux 10.000 volontaires. Pour la première fois dans l'armée prussienne, les Juifs peuvent être nommés dans le rang des officiers. Beaucoup veulent se distinguer et par leur bravoure exceptionnelle, vaincre l'opposition très répandue parmi les soldats et officiers non-juifs. Pour quantité de non-Juifs, la participation des Juifs à la guerre est considérée comme un test permettant de prouver leur loyauté. Il en est de même pour les institutions communautaires. Leur appui à l’effort de guerre est vu comme un gage de leur appartenance à la nation allemande. Aussi, soutiennent-elles financièrement des hôpitaux pour blessés et invalides de guerre, organisent-elles des collectes pour garantir l’approvisionnement des soldats au front, etc.
Dans les autres pays de l’Alliance, 320.000 Juifs (dont 40.000 seront tués) portent l'uniforme d'Autriche-Hongrie et plus de 50.000 (dont 2.000 seront tués) celui de Bulgarie et de Roumanie. En outre, quelque 6.000 Juifs s’enrôlent dans les légions polonaises.
Monument aux morts juifs de douaumont
Conséquences de la Première Guerre mondiale : l’Empire ottoman est démantelé, celui des Habsbourg s'effondre, la Russie tsariste devient l'Union soviétique et la nouvelle puissance des États-Unis commence son inexorable ascension. Ces changements suscitent de grandes espérances dans le monde juif. Or malgré leur engagement massif sur les divers fronts, les Juifs du Vieux continent restent victimes d’un antisémitisme virulent, notamment en France, en Allemagne et en Russie. Leur sacrifice à la Nation, loin d’être reconnu, ne les épargnera pas quelques années plus tard, du terrible anéantissement qui tentera de les rayer des cartes d’Europe.


Noémie Grynberg / Israel Magazine 2014

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Commentaires

  • Demet Maydanoz

    1 Demet Maydanoz Le 25/01/2015

    Et les juifs turcs ? Ce que je sais c'est que comme comme les chrétiens de l'empire ottoman ils n'étaient pas astreint au service militaire en temps de paix. Ils étaient plus appréciés que les grecs et arméniens n'ayant pas de revendication territoriale particulière.

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