Noémie Grynberg Penser le monde : information et analyse

Abou Gosh : une famille, un village

Nombreux sont ceux qui connaissent ce village arabe de 2.340 dounam aux environs de Jérusalem, qui organise deux fois par an un festival de musique sacrée. Mais peu savent l’étonnante évolution de cette localité, croisée des trois religions monothéistes, tant sur le plan de sa coexistence pacifique, de son histoire que de son économie.

Les premières traces du site datent de l’époque néolithique. A la période cananéenne, le village biblique de Kiriat Yéarim originellement Kiriat Ba’al ou Baalah est cité dans le livre des Chroniques et situé à la frontière de Juda et de Benjamin. C’est là que campa la tribu de Dan. Plus tard, lors du conflit opposant Israel aux Philistins, le bourg était un centre cultuel important du fait que l’Arche d’Alliance y résida 20 ans avant que David ne la ramène à Jérusalem.

A l’époque romaine, la 10e légion construisit à Kiriat Yéarim une forteresse près de sa source ainsi qu’un camp militaire.

Au temps des Croisés, ce lieu fut associé à celui d’Emmaus où, selon la tradition chrétienne, le Christ serait apparu sur la route à deux pèlerins après sa résurrection. Entre le 12e et le 15e siècle, une église et son monastère furent construits sur l’ancienne forteresse romaine à l’emplacement de la source-même. Ces bâtiments relativement bien préservés datant de 1142 furent partiellement détruits en 1187.

En 1873, le Sultan Avad Al Aziz offrit au gouvernement français la concession de ces lieux saints. La France entreprit de les reconstruire en 1899.

En 1901, les moines bénédictins s’installèrent dans le monastère et le Caravansérail. Aujourd’hui encore, ces bâtiments dépendent du service des monuments religieux auprès du consulat français de Jérusalem et des religieux continuent d’y résider. Il existe également une autre basilique avec des mosaïques romaines et byzantines à Abou Gosh, occupée par les sœurs de l’ordre français de Saint-Joseph de l’Apparition, fondé au 19e siècle.

Aujourd’hui, églises et mosquées se côtoient dans le village. Qui était vraiment Abou Gosh ? C’est à l’époque musulmane lors de la conquête arabe datant du 7e siècle, que l’appellation du village changea et prit le nom de Qaryat al-Inab. Mais la dénomination actuelle de l’ancien village ottoman d’Abou Gosh date du 17e siècle, du nom du cheikh qui contrôlait alors la région et qui imposa un péage, sorte de droit de passage jusqu’en 1835, pour chaque voyageur allant et venant de Jérusalem. En fait l’origine du nom Abou Gosh viendrait d’une famille musulmane turkestane originaire des montagnes du Caucase qui s’établit dans la région en 1520 sous l’égide des Turcs et dont les 5.500 descendants du même ancêtre, habitent encore aujourd’hui le village à 98% musulman. Sous les Mamelouks, le chef de la famille Jaber Abou Gosh fut nommé gouverneur de la région de Jérusalem pour une période de neuf ans. Les notables du villages furent les intermédiaires entre les gouvernements français et britannique et le gouvernement ottoman. Ils bénéficièrent ainsi de relations privilégiées avec le gouvernement britannique.

A l’époque du Mandat, la position dirigeante de la famille diminua mais continua cependant. Les relations entre Abou Gosh et les Juif Au début du 20e siècle, en 1921, des relations se nouèrent entre les membres du clan Abou Gosh, l’Agence Juive et même les activistes des mouvements clandestins de la Hagana, de Hetzel et de Lehi (``Lohamé Hérout Israel`` : Combattants de Libération d’Israel). Au cours des ans, entre 1920 et 1938, se tissèrent de chaleureux et privilégiés liens amicaux entre les villageois arabes et les Juifs des nouvelles implantations et en particulier des premiers Kiboutzim établis alentours. Ces relations se poursuivirent au-delà de la Guerre d’Indépendance. En 1948, les arabes d’Abou Gosh se rallièrent à Israël et le village ne prit pas part aux combats pour la route de Jérusalem contre les Juifs contrairement aux autres villages arabes. Ces faits historiques caractérisent la collaboration et l’amitié qui unissent les habitants d’Abou Gosh à Israel. Mais au-delà des événements passés, il existe également un lien particulier entre ce village et nous, lien d’ordre plus religieux. En effet, tous les ans, à l’époque de Pessah, le Grand Rabbin d’Israël vend le Hamets à un habitant arabe d’Abou Gosh ; signe de confiance et de respect mutuel tout à fait louable.

Grandeur et décadence du développement économique
Autrefois village essentiellement agricole produisant du vin, des olives, des fruits et du grain, seule la moitié de sa superficie est construite. Mais la crise de l’agriculture des dernières années n’a pas épargné Abou Gosh. Actuellement, seuls 100 dounam sont encore consacrés à l’agriculture. De plus, la construction de la Route No1 Jérusalem - Tel-Aviv traversant le territoire sud-est du village causa de nombreux problèmes comme la perte de 1000 dounam de terrain agricole, la séparation entre zone nord et sud, la réduction du terrain constructible, l’abandon des terres agricoles non accessibles en bordure de la route. Cette situation accentua la précarité du domaine agraire ce qui réorienta l’activité du village vers de nouveaux secteurs : la construction et le tourisme, qui devinrent alors une source importante de revenus. Cela permit à Abou Gosh de se développer d’année en année : projet de construction d’un hôtel, doublement du nombre de restaurants, multiplication des jardins publics, des magasins de meubles anciens, des parkings.
Appelé ‘’La terrasse occidentale’’ de la capitale, situé à l’entrée de Jérusalem, Abou Gosh est devenu un des
lieux les plus visités de la région. Il attire nombre de touristes et de voyageurs venus découvrir la cité de David. Culturellement, depuis 1957, deux fois par an, son festival de musique liturgique catholique dans les 2 églises du village invite les mélomanes de plus en plus nombreux à participer à ces festivités.

Malheureusement, Abou Gosh connaît aujourd’hui les même difficultés que tous les autres villages agricoles du pays en traversant une crise économique et sociale. La récession s’est aggravée du fait que l’agriculture ayant cessé d’être la base économique principale du village, les autres branches dans lesquelles se sont reconvertis les villageois comme le textile, le tourisme ou la construction, principaux secteurs de revenus sont également en crise. Alors les villageois partent à la recherche de nouvelles alternatives et sources de revenus en dehors de leur localité. De 1973 à 1993, les affaires du villages étaient gérées par le conseil Régional de Judée. Il a fallu attendre 1998 pour qu’Abou Gosh élise pour la première fois un Conseil local dont les 9 membres sont tous des habitants et enfants du village. Atypique dans le paysage israélien, Abou Gosh est bien plus qu’une simple localité aujourd’hui arabe. Profondément lié à l’histoire du pays, ce village est avant tout celui d’une famille, un lieu où se sont croisés les trois croyances en un Dieu unique. Cet exemple de cohabitation, de coopération et de loyauté mérite d’être relevé et apprécié à sa juste valeur. Une leçon digne d’intérêt et qui mérite d’être apprise.

 

Noémie Grynberg / Israel Magazine 2002

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