Noémie Grynberg Penser le monde : information et analyse

La technologie remplacera-t-elle un jour les relations humaines ?

La polémique autour des nouvelles technologies bat son plein. Alors que certains y voient un formidable progrès, d’autres n’y perçoivent que danger. D’ailleurs les experts de toutes disciplines se penchent sur le phénomène pour l’analyser et tenter de définir si oui ou non, il nuit à la santé mentale et à la vie sociale ou au contraire, pallie les déficits de temps et de liens.

Que penser de la révolution cybernétique ? En son temps, Albert Einstein prédisait : ‘’je crains le jour où la technologie surpassera nos interactions humaines.’’ Qu’en est-il à présent ? A voir les inconditionnels d’iphones, ipads et autres tablettes en tous genres, on pourrait se poser la question du bénéfice ou du préjudice des nouvelles technologies dans notre vie de tous les jours. En effet, de nombreuses interrogations surgissent quant aux conséquences des pratiques sociales en ligne. Afin de démêler le vrai du faux, tant au niveau individuel que global, deux spécialistes confrontent leurs points de vue et donnent une image contrastée du phénomène.
Pour le professeur Gustavo Mesh, spécialiste d’internet et Doyen de la faculté des sciences sociale de l’université de Haïfa, la technologie assure et permet d’abord une société de communication. En effet, le pédopsychiatre Jacques Eisenberg, directeur du Centre Herzog de Santé Mentale pour enfants de Jérusalem, constate aujourd’hui que mails et cellulaires offrent l’avantage d’une communication plus rapide, même dans les relations humaines. Au demeurant poursuit le Professeur Mesh, les nouveaux outils qui font désormais partie de nos vies, procurent beaucoup d’informations utiles tout en posant deux problèmes : d’une part, celui que les informations soient transférées à l’Etat (comme aux USA) ; d’autre part, celui du caractère commercial d’internet c’est-à-dire d’une société qui fournit un service – sans contrôle de l’information, menant parfois à une utilisation détournée de photos ou de données personnelles, notamment sur les sites de rencontre en line.

reseaux.jpgCeci tant dit, la première grande peur que suscitent les cyber-applications est celle de la dépendance. D’après le docteur Eisenberg, nous sommes tous plus ou moins sous influence de ces moyens modernes de communication. Attirance de la nouveauté sans doute. Mais comme tout jouet neuf, avec le temps, on s’en désintéresse peu à peu souligne le Doyen. En fin de compte, les réseaux sociaux deviennent ennuyeux à force. Pour preuve, alors que pendant des années ils enregistraient une augmentation constante, ces derniers temps, ils ont noté une chute de plusieurs millions d’inscrits. En fait, toujours selon le spécialiste d’internet, seuls 7 à 10% des utilisateurs, tous âges confondus, deviennent effectivement dépendants, présentant des signes d’affliction, de nervosité ou de dépression. « La plupart des utilisateurs arrive à se déconnecter et à lutter contre le phénomène d’addiction » indique le Professeur Mesh. Par exemple, dans le monde du travail, il n’est désormais plus nécessaire de rester connecté 24/24. Donc dans la majorité des cas, l’utilisation quotidienne des médias sociaux ne rend pas plus fragile émotionnellement et à long terme, n’induit pas forcément d’anxiété. Toutefois, le docteur Einsenberg reconnait que les adolescents peuvent devenir accros. Si vous leur demandez de se concentrer sur leurs devoirs ou de suivre leurs amis en ligne, leur réponse est évidente. Aussi, les élèves qui restent branchés même au milieu de leurs leçons récoltent de moins bonnes notes que les autres. D’ailleurs, le pédopsychiatre confirme que dans un cercle qui s’auto-entretient, certains juniors cyberdépendants, déjà en difficulté scolaire, arrêtent même l’école, attendu qu’à force, les jeux en ligne causent un recul de la capacité de penser et de lire. Ces simulations remplacent alors les relations sociales.
Du point de vue psychiatrique, on ne parle pas d’obsession, c’est-à-dire d’acte empêchant une angoisse, mais plutôt d’addiction, d’accoutumance.

Deuxième interrogation : est-ce que les réseaux sociaux proposent une vision biaisée de la réalité dans laquelle les plus jeunes ne voient pas la différence entre réel et virtuel ? Difficile à dire pour le Professeur Mesh car la réalité ne constitue pas un fait objectif mais un fait social. Elle dépend de son appartenance à un groupe. Selon le docteur Eisenberg, « la différence entre virtuel et réel devient difficile du fait que le premier ressemble de plus en plus au second. Pour les enfants, la frontière reste floue. Mais cela était déjà vrai pour le cinéma. » Concernant les jeux en ligne, le psychiatre explique qu’ils laissent moins de place pour l’imagination. Par contre, le virtuel donne une gratification immédiate qui ne demande pas d’effort et fait moins bien supporter la frustration car il méconnait la satisfaction différée. « C’est un phénomène de société où tout est plus immédiat » précise le médecin. ipad.jpg

Troisièmement, à force de maximiser les liens virtuels, délaisse-t-on ceux de la vraie vie ? « Les personnes équilibrés saisissent que ces relation sont virtuelles » rassure le psychiatre. « En fait, internet et les cellulaires élargissent les liens sociaux » constate aussi le sociologue. Par contre, les contacts sporadiques, instrumentaux, n’élargissent le phénomène que temporairement au détriment des liens proches. Mais chez les seniors, chez qui existe une réduction objective des échanges sociaux, les réseaux en ligne permettent de casser leur solitude en retrouvant d’anciennes connaissances ou en chatant avec leurs petits-enfants.

Quatrièmement, d’aucuns affirment qu’à cause du virtuel, des comportements antisociaux, des troubles obsessionnels et des tendances agressives peuvent apparaitre. Selon le sociologue, « la plupart des études ne révèle pas de troubles sociaux » de la part des cyber-utilisateurs. Le médecin reconnait cependant que les jeunes qui passent des heures sans fin en ligne fuient effectivement des difficultés sociales. Mais les jeux de guerre, de combats, sorte de voyage, permettent de faire sortir l’agressivité. En outre, les nouvelles technologies ont débouchée sur une baisse de la culture de la confiance, sur moins d’espace de liberté, comme une névrose de chaque instant, surtout en Israel – spécialement à l’époque des attentats – où tout parent cherchait constamment à savoir où se trouvent ses enfants.

La cinquième grande question relève de l’image de soi. Pour de nombreux jeunes, être en ligne, c’est s’exposer à la critique quotidienne, ce qui peut devenir pesant lors de la phase de construction de soi. Or, dans cette période fragile, l’image importe par rapport au groupe social. C’est pourquoi certains prétendent que ceux qui gèrent fréquemment leur profil personnel sur les réseaux sociaux sont amenés à devenir plus narcissiques que leurs comparses. Pour se mettre en avant, les utilisateurs choisissent quotidiennement les informations qu’ils ont envie de divulguer, travail minutieux récompensé par un maximum de « like » de la part d’« amis ». Difficile pour les ados de ne pas devenir un brin nombriliste. En fait, pour le psychiatre, ceux qui totalisent des milliers d’« amis » sur les réseaux en ligne répondent à un agenda car ce sont en général des figures publiques comme Yair Lapid. De même, le Professeur Mesh modère : ce n’est pas la technologie qui promeut le narcissisme mais les narcissiques qui utilisent autant que possible internet comme attribut de leur autodéfinition. Car aujourd’hui, forums et réseaux sociaux ne sont plus anonymes mais identifiables et normatifs. Ainsi, la majorité des connectés diffusent peu d’informations personnelles indique le Doyen.

Sixième point : quelques uns rétorquent que les réseaux sociaux augmenteraient la culture du voyeurisme. Certes mais pas plus que la télévision. Jacques Eisenberg rappelle cependant qu’avant de parler de voyeurisme, il faut d’abord évoquer l’exhibitionnisme, soit le désir immodéré de s’exposer. En effet, il n’y a plus de vie privée pour ceux qui s’exposent sur la toile. Le Net permet cette culture où tout est beaucoup plus dévoilé, plus significativement encore que dans les programmes de reality. « C’est un phénomène de société où toute la vie privée est mise sur la place publique » remarque le pédopsychiatre. Mais il existe cependant certaines protections. De son côté, le Professeur Mesh affirme qu’il s’agit plutôt d’une déformation engendrée par les médias, par ce qu’ils vendent. Ce fait est lié au développement de la presse. « Déjà il y a 100 ans, lorsque sortait le premier appareil Kodak, deux journalistes américains avaient tiré la sonnette d’alarme concernant le droit à la vie privée » rappelle le Doyen. Ainsi, la curiosité parfois malsaine naît dans certaines personnalités, quel que soit le support.

Enfin, dernière controverse : une sur-utilisation des réseaux peut-elle aboutir à un isolement plus ou moins important ? D’après le pédopsychiatre, pour les personnes en difficulté relationnelle directe, Internet permet des échanges plus faciles car elles éprouvent moins d’inhibitions. Pour ceux qui souffrent d’un complexe d’infériorité ou d’une gêne, le virtuel reste une bonne chose puisque ses relatons sont limitées. Les cyber-liens y paraissent gratifiants même s’ils échouent ensuite. « Le paradoxe c’est qu’on y est un peu caché mais en même temps plus exposé que dans le monde réel, avec le sentiment d’être protégé » déclare le médecin. L’isolement dû à une sur-utilisation des réseaux reste donc une exception. En revanche, Internet se révèle dangereux quand des groupes mettent une personne en quarantaine, ce qui peut mener la victime jusqu’au suicide. Heureusement, il existe sur la toile une traçabilité - dont les jeunes paraissent peu conscients – permettant de repérer ces délits. A l’opposé, l’envers de la médaille relève du cas où, grâce au suivi d’un message, une personne en détresse écrivant sur le Net ses sombres intentions, est empêchée de commettre un acte irréversible à la faveur d’une intervention rapide auprès d’elle.

En définitive, sachant que la technologie a tendance à exploser les limites de la société, le Professeur Mesh pense que cette dernière est mure pour lutter contre les cyber-dérives, y mettre des limites et regarder les choses avec proportion. Le psychiatre renchérit : beaucoup de choses réelles sont réalisées à travers les nouvelles technologies. Il ne faut donc pas les démoniser. D’autant que pour le Doyen de la faculté des sciences sociale de l’université de Haïfa, le danger actuel ne vient pas tant d’internet que du déchiffrage du code génétique qui lui, pourrait bien dépasser les limites du contrôle humain. Mais pour le psychiatre, nous n’en sommes pas encore là. Pour l’heure, la technologie permet de communiquer plus facilement, même si par ailleurs, l’immédiateté enlève peut-être un côté romantique aux correspondances amoureuses. Quoi qu’il en soit, les gens éprouvent encore du plaisir à se rencontrer : « ils ne se marient pas avec leur ordinateur » sourit Jacques Eisenberg.
Finalement, il en est du cyberespace comme de toute chose. « C’est comme pour l’alcool : à utiliser avec modération » ou comme pour les médicaments « ne pas dépasser la dose prescrite » conclut le docteur Eisenberg.


Noémie Grynberg 2013


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Commentaires

  • nicolas

    1 nicolas Le 26/01/2014

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