Noémie Grynberg Penser le monde : information et analyse

Inde-Pakistan-Afghanistan : un trio sulfureux

Le triangle Inde-Pakistan-Afghanistan se trouve au cœur du nouveau désordre mondial depuis le 11 septembre 2001. Les relations instables entre l'Inde et le Pakistan, les liens équivoques unissant Islamabad et Kaboul, et la récente entente bilatérale entre l’Inde et l'Afghanistan s'enchevêtrent sur fond d'instabilités internes : mouvements religieux fondamentalistes, difficultés économiques et trafic de drogue. Problème de taille, le Pakistan reste l’un des verrous indispensables à la paix régionale.

En 1947, avec le démantèlement de l'Empire colonial britannique, le Pakistan nait dans le sang lors de sa partition d’avec l'Inde, suite à la multiplication des heurts violents entre communauté musulmane d'une part, et communautés sikh et hindoue d’autre part. Depuis, le conflit indo-pakistanais au sujet du Cachemire ne cesse d’attiser les tensions entre les deux puissances nucléaires. Avec l’avènement des Talibans, le bras de fer d’influence entre les ennemis jurés s’étend à l’Afghanistan où Islamabad est accusé de soutenir la rébellion des fondamentalistes musulmans et d'alimenter ainsi le conflit dans ce pays en proie à toutes les violences. Ce qui a engendré la dégradation des relations entre le Pakistan et l’Afghanistan.

Aujourd’hui, alors que Kaboul se tourne vers New Delhi pour sortir de l’emprise d’Islamabad, ce trio explosif reste sous haute tension. Dans la phobie de son adversaire historique, le Pakistan sait que l’Inde cherche à placer des pions en Afghanistan. Les militaires pakistanais qui exercent en sous-main le pouvoir effectif dans leur pays, considèrent qu’à l'ouest, l'Afghanistan constitue leur base arrière, une zone de repli  leur offrant la profondeur stratégique qui leur fait défaut en cas de guerre avec New Delhi. D’où les efforts d’Islamabad pour conserver une certaine influence à Kaboul, estimé comme sa chasse gardée. Le Pakistan veut donc à Kaboul un régime ami qui rejette toutes les ouvertures indiennes de coopération économique ou militaire.
De son côté, Kaboul considère New Delhi comme un modèle de développement politique et économique pour la reconstruction du pays ainsi qu'un appui régional majeur pour se prémunir des ingérences du Pakistan. Mais les relations afghano-indiennes traditionnellement bonnes demeurent asymétriques : alors que l’Afghanistan économiquement exsangue a peu à offrir à l’Inde en termes de perspectives comptables, l'Inde voit avant tout sa relation avec Kaboul comme une chance d’accès à des ressources minérales et à divers chantiers de construction ainsi qu’à la possibilité de rayonnement régional vers l’Asie centrale. De ce fait, le nouveau "pacte stratégique" commercial et sécuritaire indo-afghan - le premier du genre jamais conclu – signé en octobre dernier, devrait renforcer de manière spectaculaire un axe Delhi-Kaboul qu'Islamabad a tout fait pour briser. Ce qui revient à renforcer l'Inde sur la scène afghane où Delhi entend bien jouer un rôle déterminant après le départ des troupes de la coalition, en 2014. C’est pourquoi l’Inde se propose de former les forces de sécurité afghanes appelées à prendre le relais des armées étrangères. Les Indiens devraient ainsi commencer, d'ici à la fin de l'année, à entraîner et à équiper en Inde des officiers de l'armée et de la police afghanes. New Delhi, l'un des plus grands donateurs du gouvernement afghan, craignant un retour du régime des talibans à Kaboul, a déjà versé plus de deux milliards de dollars d'aide à son nouvel allié pour y contrecarrer l'influence d'Islamabad, parrain historique des fondamentalistes.

singh-karzai.jpgInquiétude pakistanaise et doute afghan
Loin d’apaiser les tensions régionales, ce rapprochement indo-afghan pourrait au contraire, les raviver. Cet accord inquiète nombre d'observateurs pakistanais, Islamabad redoutant de se retrouver isolé par ses deux voisins. Qualifié de "dérangeant", "ce pacte va intensifier la guerre par procuration que se livrent l'Inde et le Pakistan en Afghanistan car il n'est pas dans l'intérêt d'Islamabad de voir Delhi former l'armée afghane", analyse un spécialiste pakistanais des questions militaires. Pour les officiels pakistanais, il ne fait pas de doute que l'Inde poursuit en Afghanistan, sous le couvert d'une politique de reconstruction et d'aide, une action de déstabilisation de leur pays. D’ailleurs, la population pakistanaise pense que l'Inde fournit des armes clandestinement à la rébellion talibane en Afghanistan.
Pour sa part, le président afghan Hamid Karzaï reconnaît qu'il ne sera pas possible de pacifier son pays sans un minimum d'assentiment du Pakistan. Cherchant à rassurer Islamabad lors de sa visite à Delhi début octobre, Karzaï a réitéré : « Le Pakistan est un frère jumeau, l'Inde est une grande amie. L'accord que nous avons signé avec notre amie n'affectera pas notre frère ». Cependant, le gouvernement afghan dénonce le récent meurtre planifié au Pakistan, de l'ancien président Burhanuddin Rabbani, chargé de convaincre les talibans de négocier la paix avec Kaboul, et accuse Islamabad de freiner l'enquête sur cet assassinat.
L’Afghanistan blâme ainsi le Pakistan pour son double jeu avec les islamistes et pour avoir fait du réseau Haqqani (bras armé des services secrets pakistanais en Afghanistan), une branche des talibans afghans proche d'Al-Qaïda. Néanmoins, Islamabad refuse d'agir contre Haqqani le long de sa frontière ouest.

Les écueils et les limites de la tâche considérable de l’Inde en Afghanistan – assister un pays pauvre et sous-développé, en guerre depuis 3 décennies - relève plus de la prise de risques et que de la gestion sereine. Aussi bienvenue soit-elle, la réalisation de cet accord de partenariat stratégique inédit ne va pas révolutionner du jour au lendemain le cours chaotique de l’interminable bourbier afghan. Sa stabilisation et sa pacification supposent davantage une régionalisation politique, économique et diplomatique de l'ensemble des protagonistes qu’une solution militaire  pour une solution durable dans cette poudrière éminemment inflammable.


Noémie Grynberg / Israel Magazine 2011

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