Noémie Grynberg Penser le monde : information et analyse

Crise au Mali : vers une ‘’talibanisation’’ du Sub-Sahel ?

Suite au renversement le 22 mars dernier du Président Amadou Toumani Touré, le Mali est plongé dans le chaos. Le putsch a mali.jpgaccéléré la chute du nord du pays aux mains de divers groupes touarègues armés et islamistes puissamment équipés. Ainsi, depuis le début du mois d’avril, les régions nord du Mali échappent totalement au contrôle de Bamako, la capitale.

Coup d’Etat, révolte touarègue, tour de force des islamistes : la crise que traverse le Mali est complexe et ses acteurs nombreux. La région septentrionale est devenue une zone de non droit où prospère le terrorisme. Quatre principales factions s’y affrontent, partagées entre nomades du désert et fondamentalistes de différents courants.
D’abord, la rébellion du Mouvement National de Libération de l'Azawad (MNLA). Depuis mars 2011, les guerriers touaregs sécessionnistes, rassemblés dans les collines frontalières de l’Algérie, ont été rejoints par des déserteurs de l’armée malienne et par de jeunes activistes formant désormais le MNLA. L’offensive des combattants touaregs au Mali s’est déclenchée après la mort de leur leader historique libyen, le Colonel Mouammar Kadhafi. En effet, les guerriers maliens de Kadhafi retournés au pays natal, ont apporté avec eux l’expérience du combat, un équipement lourd et des armes sophistiquées provenant de l’arsenal du dictateur.
Ensuite, les islamistes se divisent en trois organisations distinctes : Ansar Dine (Défenseur de l'islam), courant rigoriste et fondamentaliste, qui a récemment détruit des lieux saints de Tombouctou les estimant impies, Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI) et le Mouvement pour l'unicité et le Jihad en Afrique de l'Ouest (MUJAO).
En fait, cette poussée fondamentaliste en Afrique sahélienne a débuté à la fin des années 1990 avec l'arrivée dans la région de la secte pakistanaise Dawa. Celle-ci a formé certains dirigeants touaregs. Quant au salafisme, version puritaine wahhabite de l'islam sunnite, il a été importé d’Arabie saoudite.

Le nord du Mali sombre dans l’obscurantisme
Le Mali subira-t-il à son tour l'obscurantisme de talibans ? Pour le continent noir, cette perspective reste grosse de menaces. La région touarègue est désormais sous le contrôle quasi total des groupes islamistes, chapeauté par Ansar Dine. L’armée malienne, divisée, mal organisée et mal équipée, n’a aucune présence dans le nord du pays et se trouve dans l’incapacité militaire de faire face à ces mouvements ou de libérer le nord de leur emprise. Les gangs jihadistes sont en train d’imposer aux Maliens une véritable dictature. Ils soumettent les autochtones au régime d’une version extrême de la loi coranique. Depuis qu’ils se sont installés dans cette région, les fondamentalistes tentent d’appliquer par la force leur lecture la plus rigoriste de l’islam, notamment les châtiments corporels de la Charia. Tout ce qui est considéré comme impur devient interdit : télévision, cigarettes, football, mixité dans les transports ou sur le marché, etc. Les femmes doivent se couvrir le corps lorsqu’elles quittent leur foyer.

Trafics et destructions
Non contents de terroriser la population locale, les islamistes sont également impliqués dans l’industrie du kidnapping d’Occidentaux contre des rançons en carburant évaluées à plusieurs millions de dollars, partagés ensuite avec la minorité touarègue du pays. Bastion des groupes affiliés à Al-Qaïda, Tombouctou dans le nord du Mali, déjà largement administré par les réseaux de narcotrafiquants, s’est ainsi transformé en l'une des plaques tournantes de la drogue en provenance de l'Amérique du Sud vers l'Europe.
L’anarchie locale ne s’arrête pas là. Depuis le début du mois de juillet, près d’une vingtaine de mausolées ont été détruits par les brigades d’Ansar Dine à Tombouctou, considéré comme "la perle du désert", ville mythique aux confins du delta du Niger et du Sahara, inscrite au Patrimoine mondial de l'Unesco. Ces profanations systématiques, soi-disant justifiées au nom de la lutte contre l’idolâtrie, visent plutôt à ancrer un régime totalitaire au nord du Mali.

Un pays en plein chaos
Le désordre institutionnel règne dorénavant à Bamako et les autorités, très critiquées, affichent leur impuissance face à l’augmentation des attaques terroristes. Les deux tiers du territoire échappent à la souveraineté de l’Etat malien corrompu qui n’a plus d’armée, ni de classe politique. D’ailleurs, il n’y a plus rien dans cette république ouest-africaine : ni école pour les enfants, ni centre de santé. Il n’y a même plus de chrétiens dans le nord du pays. Les groupes armés qui l’occupent sont soupçonnés de recruter des enfants soldats.

Vers une ‘’afghanisation’’ du Mali ?
mnla.jpgA l’instar des pays comme la Tunisie, l’Egypte et la Syrie, la lutte touarègue pour un foyer national a été piratée par les islamistes du Mali et de l’étranger mieux armés et organisés. Après en avoir chassé leurs éphémères alliés séparatistes, les islamistes ont désormais seuls le contrôle du nord du Mali. Mais les rebelles nomades sur leur terrain, tentent de se réorganiser pour prendre leur revanche.
Aussi le risque d’expansion du conflit semble bien réel. Au-delà de son propre territoire, la déstabilisation du nord Mali menace tout le Sahel. Les implications d’un tel développement pourraient devenir un nouveau cauchemar pour l’Occident. En effet, cette situation risque de déclencher une guerre régionale pour empêcher ce point faible sahélien de se transformer en nouvel Afghanistan ouest-africain, point de ralliement des jihadistes et d’instructeurs afghans.
Le ressentiment est fort à l'égard de l'abandon du Nord par les autorités de transition au pouvoir à Bamako. Si cette région très fortement islamisé reste aux mains des intégristes religieux, il sera très difficile de revenir en arrière. La région pourrait devenir un vivier pour jihadistes, un sanctuaire du terrorisme, au moins aussi dangereux que l’Afghanistan. Une dizaine de camps d’entraînement terroriste fonctionnent déjà dans les villes de Gao et Tombouctou.


Noémie Grynberg / Israel Magazine 2012

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