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Noémie Grynberg Penser le monde : information et analyse

Qu’est-ce que l'« Etat juif » ?

En quoi est-ce important que les Palestiniens reconnaissent Israel en tant qu’Etat juif ? N’est-il pas suffisant que le pays se proclame et se définisse lui-mêmeMenora is comme tel ? Et que recouvre exactement ce concept ?

En Israel, le débat autour de la notion d’« Etat juif » n’est pas nouveau et agite régulièrement l’académie, la presse et la Knesset. Mais qu’entend par là la société israélienne ? Car « Etat juif » peut recouvrir plusieurs acceptions : un pays dont le caractère institutionnel et sociétal est juif, un pays dont la majorité de la population est juive ou un pays régit entièrement par la Loi juive. Suivant la définition, la nature de l’Etat diffère. La polémique remonte à Binyamin Ze'ev (Theodor) Herzl et à la publication de son ‘’Judenstaat’’ (L’Etat des Juifs), traduit incorrectement de l’allemand en français par « L’Etat juif ».

Les trois modèles
Selon le sionisme, l’Etat juif vise à restaurer sous une forme moderne l'entité nationale juive antique, disparue depuis l’exil. Au sens politique ou ethnique, cela signifie l'existence d'un centre spirituel, territorial et administratif gouverné par les Juifs sur la terre ancestrale d’Israël. De Herzl à Ben-Gourion, il prône un foyer national pour le peuple juif comme identité commune à la société en général, unifiée au niveau national, avec pour langue officielle l’hébreu et pour jours fériés et chômés le calendrier hébraïque. Ainsi toutes les caractéristiques institutionnelles dont les emblèmes étatiques (Menora et Etoile de David) demeurent en rapport avec la Bible, son histoire, sa tradition. D’où la non neutralité de l’espace public. En tant qu’Etat juif, Israel n’opère pas de séparation entre Etat et religion, bien que la liberté de culte soit garantie par la loi. Le judaïsme jouit d’un statut d’institution sociale (rabbinat) jouant un rôle dans la société, la nation, la politique. Ceci permet l’ingérence de ce dernier dans les affaires de l’Etat. Le monopole de ses prérogatives est cependant circonscrit aux lois privées (mariage, divorce, conversion, enterrement) mais peuvent être cassées par la cour Suprême. La dimension politique du judaïsme se retrouve donc dans la relation entre l’individu et la société. Ce système donne aussi la possibilité de traduire la puissance religieuse en puissance politique conforme au jeu démocratique. Mais la confession devient politique dans la problématique de la nationalité. Cette dernière dépend en effet de l’ethnicité (droit du sang + conversion) donnant accès à la loi du retour, l'essence même d'Israël en tant qu'Etat juif. Ce qui s’apparente à une sorte d’ethnodémocratie : un groupe ethnique particulier dirige le pays, tout en respectant les droits politiques et civiques de tous les citoyens. En tant que foyer national juif, Israël présente donc une homogénéité de la majorité à 80% avec une notion identitaire d’appartenance à un groupe. Cela ne veut bien sûr pas dire que ne doivent y vivre que des Juifs puisque le pays reconnait les minorités culturelles, religieuses et ethniques mais pas nationales.
Ce qui amène au second modèle, celui dit « Etat des Juifs »  habité en majorité par des Juifs mais qui enlève toute référence à la religion. Vu comme solution au problème de l'antisémitisme, celui-ci regrouperait l’ensemble du peuple juif soumis à des lois civiles et non toraniques. Ici la connexion entre Etat juif et sa localisation s’avère moins viscérale, à l’instar du Birobidjan, Etat autonome de Russie créé par Staline pour les Juifs mais sans caractère proprement juif.
Enfin, l’exemple de l’Etat halakhique (Medinat halakha), soit un État « pratiquant » qui prêche la loi religieuse en guise de constitution et se trouve régit par la Tora. Le religieux y jouirait d’un pouvoir total contrôlant tous les domaines de la vie privée et sociale. Il imposerait le caractère orthodoxe de la sphère collective. Ici, les lois juives primeraient sur les droits de la personne et la liberté religieuse ne serait pas garantie : point de légalité en dehors de la halakha. L’Etat « pratiquant » s’oppose donc à la démocratie car il ne reconnait pas la souveraineté populaire et restreint les libertés individuelles. Ainsi, les décisions ne seraient pas fixées par les représentants du peuple mais par les rabbins. Cette vision biblique sans division des pouvoirs contraste avec la vision moderne d’un Etat laïcisé et décentralisé. Effectivement, cette forme de théocratie juive qui ambitionne à concrétiser les intentions prophétiques, prêche l'abolition de la démocratie sécularisée. Son avènement instituerait une monarchie avec à sa tête le Machia'h. Mais son aspiration reste essentiellement messianique puisqu'elle ne peut être mise en œuvre avant la venue du Messie.

Synthèse de la problématique
La majorité des Israéliens s’accorde sur le sens sioniste d’Etat juif, sous-tendu par les textes constitutionnels de la Loi Fondamentale et de la Déclaration d’Indépendance alors que celui de Medinat halakha est défendu par les orthodoxes et compris des Arabes au sens religieux. Pourquoi alors demander à une entité extérieure de reconnaitre le caractère spécifique du pays déjà clairement défini par lui ? Le débat n’est ni métaphysique, ni rhétorique mais bien politique. Premièrement, pour les Palestiniens, entériner Israel en tant qu’Etat juif signifie ne plus le revendiquer comme terre d’Islam et donc comme légitimité arabe. Deuxièmement, l’idéologie sioniste d’un foyer national juif implique les droits qui s’y rattachent : la loi du retour. En effet, si la nature juive d’Israel n’est pas rappelée et soulignée, la loi du retour s’applique à tous les citoyens, Juifs comme Palestiniens. L’Etat perdrait alors son statut distinctif. C’est pourquoi, semble-t-il, les Palestiniens s’entêtent à ne pas vouloir reconnaitre l’attribut juif d’Israel afin de pouvoir continuer à revendiquer inlassablement le « droit au retour des réfugiés ». D’où l’insistance de Benjamin Netanyahou, conscient des enjeux vitaux liés à la question.


Noémie Grynberg / Israel Magazine 2014

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