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Noémie Grynberg Penser le monde : information et analyse

Russie et Turquie s'opposent sur la question syrienne

drapeau-syrien.jpgPendant la Guerre froide (1950-1980), un antagonisme stratégique Est-Ouest divisait les deux pays : la Turquie comme avant-poste de l’OTAN face à l’URSS, chef de file du Pacte de Varsovie. Or depuis 20 ans, ni rivales ni complices, les relations entre elles relèvent plutôt de la nécessité réciproque. Interdépendants, les deux Etats ont besoin l’un de l’autre. Pourtant, la crise syrienne empoisonne leur diplomatie.

Aujourd’hui, la question syrienne est inséparable des relations bilatérales entre la Russie et la Turquie, unies par une politique d’intérêts. En effet, Moscou demeure le second partenaire commercial d’Ankara. Non seulement il lui livre les deux tiers de ses besoins en gaz, mais en plus, la République eurasienne constitue une pièce majeure dans le système de distribution du gaz russe vers l'Europe. Et Moscou a remporté le contrat pour construire la première centrale nucléaire de Turquie.

Mais la crise syrienne complique la politique extérieure de cette dernière qui refuse d'entrer dans un conflit bilatérale débouchant sur l'engrenage d’une guerre. Bien que le pays soit devenu une puissance régionale émergente, le gouvernement d’Ankara ne veut pas intervenir seul dans les hostilités, conformément à son engagement constitutionnel. De surcroit, toute immixtion en Syrie se heurte à une préoccupation de politique intérieure majeure : les islamistes au pouvoir restent très soucieux de ne pas redonner un rôle central aux militaires, leurs vieux ennemis. L'opposition croissante de l'opinion publique turque, hostile à 70 % à une opération chez leur voisin turbulent, contraint la Turquie à l'impuissance. D’autant que, depuis le début du conflit, elle écarte tout dialogue avec le régime baasiste. Sa stratégie vise à trouver une solution dans le cadre international. Ankara qui ne peut pas résoudre ce problème isolément en réclamant le départ de Bachar Al-Assad et en soutenant les rebelles de l'Armée libre, voit dans Moscou le dernier appui du régime de Damas qui déstabilise sa frontière. La Turquie incrimine donc la position de la Russie en Méditerranée orientale et l’accuse de livrer des armes au pouvoir syrien. Ce que Moscou dément.

De son côté, le Kremlin ne semble pas remettre en cause sa ligne politique affichée depuis le commencement de la crise syrienne : la non-ingérence dans les affaires intérieures d'un pays souverain. Elle continue de s'opposer à toute intrusion étrangère directe ainsi qu’aux sanctions contre Damas. Membre permanent du conseil de sécurité de l'ONU, la Russie bloque systématiquement par son véto, toute décision visant à intervenir militairement pour faire cesser le bain de sang et conteste toute mesure jugée dangereuse pour Bachar el-Assad. Ceci afin de protéger ses intérêts commerciaux et militaires au Moyen-Orient. Ainsi, fin 2012, Moscou a exprimé son objection au déploiement en Turquie de missiles Patriot sol-air de l’Otan, sollicité par Ankara, près de la frontière avec la Syrie, estimant qu’il augmenterait le risque d’un conflit élargi. À la place, la Russie prône une solution politique plus pacifique.
Pourtant si la seule défense des intérêts économiques de la Douma en Syrie suffisait au début du conflit à justifier son soutien au régime de Damas, ces derniers semblent désormais passer au second plan. Dernièrement, la position du Kremlin semble légèrement s’infléchir. En effet, le président Poutine paraît lâcher du lest, réalisant que l’appui à son allié peut lui coûter plus cher qu'il ne lui rapporte. Les diplomates, traduisant une certaine inquiétude, mettent en avant que l'influence russe dans les pays arabes risquerait de souffrir de son support à Damas. Le fait que Moscou soit le premier fournisseur d'armes de la Syrie et qu’elle possède une base militaire à Tartous ne saurait justifier un soutien indéfini à Bachar el-Assad.
La question syrienne a donc isolé la Russie de son partenaire local qu’est la Turquie et s'est quasiment mise dans une impasse. Du coup, la capacité du Kremlin à influencer les mutations du Moyen-Orient se voit sérieusement affaiblie.

Vers un dénouement de crise ?
Aussi, Moscou se prépare-t-il à une victoire de l’opposition syrienne ? En décembre dernier, pour la première fois, un haut responsable du Kremlin a reconnu de manière explicite une possible victoire des opposants de Bachar al-Assad. La Russie constate en tout cas que le régime de son allié oriental perd de plus en plus de terrain et s'exaspère face au refus de tout compromis de la part du dictateur qui croit toujours pouvoir gagner militairement. Pourtant, la reconnaissance de la faiblesse actuelle du pouvoir en place et la crainte qu’il soit bientôt emporté ne signifient pas que le Kremlin va interrompre l’aide militaire, technique, sécuritaire, économique et financière qu’il apporte à Damas.
putine-erdogan.jpgPour tenter de calmer la tension, début décembre, lors de la visite à Istanbul de Vladimir Poutine, la Turquie a proposé une nouvelle formule en vue d’une transition pacifique en Syrie. Selon ce scénario, le dirigeant actuel quitterait le pouvoir au premier trimestre 2013 et l’autorité passerait, pour une période intermédiaire, à la Coalition nationale (CNS), reconnue comme représentative du peuple syrien. Le chef du Kremlin a trouvée la proposition du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan "créative". Ce nouveau plan serait en discussion.
Mais pour l’heure, Russie et Turquie n’ont pas encore trouvé une approche mutuelle sur les moyens concrets de régler la situation en Syrie.

En coulisses, les responsables russes n'ont plus vraiment d'autre choix que de préparer l'après Assad mais publiquement, Moscou ne veut pas perdre la face. Ainsi, l'impasse diplomatique demeurera tant que le Kremlin craint d'être désavoué car le changement de régime en Syrie constituerait un sérieux revers pour la Fédération. C’est pourquoi elle va devoir essayer de présenter le chef du parti Baas comme un dirigeant qui irait finalement à l'encontre de ses intérêts, pendant que la Turquie s’impatiente.


Noémie Grynberg / Israel Magazine 2012

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