Noémie Grynberg Penser le monde : information et analyse

Pakistan : les dangers d’une puissance nucléaire en pleine déliquescence

Le Pakistan représente le pays musulman ayant la plus forte identité religieuse. Cette République fédérale islamique dont la Constitution fait de la Charia la loi suprême du pays, a été fondée sur une base exclusivement religieuse, après la sanglante partition de l'Inde. Les musulmans très nettement majoritaires (97%), se répartissent entre 75% de sunnites et 20% de chiites. Mais la montée en puissance de ces groupes religieux rivaux, qui règlent leurs conflits dans le sang, fait toujours craindre une déstabilisation du pays fort de plus de 180 millions d’habitants.

Depuis 1947, date de son indépendance, le Pakistan a toujours connu une forte instabilité politique et les phases de dictature militaire ont alterné avec de brefs retours à la démocratie. Parmi les 81 ethnies que compte le pays, les Ourdous y ont exercé un rôle politique prépondérant. Ainsi, le dernier coup d’État militaire d’octobre 1999 a porté au pouvoir le général Pervez Muscharraf. Celui-ci, après avoir proclamé l’état d’urgence, a promis de «restaurer la vraie démocratie» et la «désescalade militaire» le long de la frontière avec l’Inde. Elu président en juin 2001, le général s'est engagé à abandonner la direction de l'armée mais sa promesse est restée vaine. Après la défaite de son parti aux élections législatives de 2008, Muscharraf a finalement démissionné.
zone-tribale-pakistanaise.jpgDepuis 2008, le Pakistan est devenu un ensemble hétéroclite d'insurrections nationalistes (province du Baloutchistan), d'émirats islamistes (région du Waziristân au nord-ouest du pays, peuplé de Pachtouns), de fiefs militaires et économiques (villes de Rawalpindi, d’Islamabad et de Karachi). Toutes ces entités ne travaillent que pour leurs propres intérêts donc pour des objectifs différents. Plus rien ne semble les unir, pas même l’islam. Les minorités religieuses (hindous, chrétiens) subissent des discriminations sociales et économiques ainsi que des harcèlements. Des dizaines de milliers d’activistes appartenant à des groupes islamistes sunnites commettent régulièrement des attaques terroristes contre les étrangers, les chiites, les chrétiens, faisant des centaines de morts civils par ans. Chiites et sunnites s’entretuent à coup de bombes.
De fait, l’équilibre fédéral pakistanais a été étouffé. Seule la province du Panjab (cœur économique, culturel, universitaire, agricole, industriel et militaire du Pakistan) s’assure la part du lion au Parlement, au cabinet ainsi qu'au sein des forces armées et dans le milieu des affaires.

Armée omnipuissante et corruption généralisée
Politiquement, le Pakistan est considéré comme un pays partiellement libre. Bien que pratiquant le multipartisme et possédant des institutions parlementaires bicamérales, il n’est pas à proprement parlé une démocratie électorale ni un Etat de droit. La presse est surveillée et les journalistes sont victimes de violences. Les sites internet sensibles sont bloqués par les autorités.
Malgré un gouvernement civil, l’armée, seule institution nationale organisée, continue d’exercer son contrôle dans pratiquement tous les domaines : politique, industrie, commerce, agriculture, bureaucratie. Elle opère une véritable appropriation de l'intérieur, disposant de 40 % du budget national. Les officiers occupent des postes ministériels, corporatistes, universitaires et jouissent de privilèges. Ils vivent confortablement dans des camps bien dotés en écoles, hôpitaux et magasins, alors que le reste de la population souffre de toutes sortes de pénuries. L'hégémonie conjointe des militaires, des féodaux et des bureaucrates oppriment la majorité des Pakistanais.
La corruption est généralisée et le pouvoir judiciaire affaibli. La police reste illettrée, sous-payée et achetée. Elle use régulièrement de sa force, de torture et de détentions abusives, extorque de l’argent des prisonniers et de leur famille, viole les détenues et commettent des exécutions extrajudiciaires. Les prisons sont surchargées. Les violations des droits de l’homme demeurent impunies.
Quant aux diplomates et hauts fonctionnaires, ils sont choisis davantage en fonction de leur loyauté au Président que de leurs compétences professionnelles. Les politiciens et diplomates corrompus bénéficient de l’immunité par le biais de la Cour Suprême.

Les régions tribales
Situées au nord-ouest du Pakistan, à la frontière afghane, elles comptent une population de cinq millions de Pachtounes — l'ethnie des talibans. Ses habitants sont en général pauvres et peu instruits, réputés conservateurs et hostiles aux étrangers. Le fondamentalisme musulman y est très présent. Une partie des régions tribales est en état constant d’insurrection. En 2003, le gouvernement pakistanais y a déployé plus de 100.000 soldats, sous la pression des Américains, afin de se débarrasser des talibans et d'Al-Qaeda. En vain. Les militaires se sont battus contre leurs propres concitoyens car les Pachtouns se sont révélés de fervents militants anti-gouvernementaux. L'armée a dû se replier. La zone est devenue pratiquement indépendante, même si elle fait juridiquement partie du Pakistan. Les armes, le haschisch et l'héroïne continuent d’y circuler librement. La région tribale s’est transformée en zone de non droit absolu.

Dégradation sécuritaire et fanatisme religieux
Le 31 janvier 2002, des fanatiques musulmans de l’islamisme radical, décapitent sauvagement à Karachi le journaliste juif américain, Daniel Pearl, correspondant du Wall Street Journal en Asie. Clairvoyant, Bernard-Henry Lévy soupçonne dès 2003 le Pakistan de cacher le chef taliban Oussama Ben Laden et met en garde les Etats-Unis contre la menace mondiale que représente ce pays. Mais ses appels restent alors sans effets.attentat-karashi-2011.jpg
Depuis 2007, l’environnement sécuritaire se dégrade singulièrement au Pakistan. Le terrorisme y représente la principale menace. Entre 2007 et 2010, les attentats terroristes coûtent la vie à plus de 4.600 personnes, selon des statistiques officielles locales. C’est notamment le cas pour l'ancienne Première ministre, Benazir Bhutto, assassinée en décembre 2007. Chaque semaine, des attentats continuent de viser des lieux publics (marchés, hôtels, mosquées, postes de police, etc.) à toute heure du jour et de la nuit. Toutes les régions du pays sont concernées surtout celles de la zone tribale, du Baloutchistan et du sud-Panjab, particulièrement dangereuses. Parallèlement à ces violences, de sérieux risques d’enlèvements relevant autant du terrorisme que du banditisme existent. Au Baloutchistan (frontière avec l’Iran), dans la province du Khyber-Pakhtounkhwa (nord ouest) et au Panjab (frontière avec l’Inde), des rapts visant personnalités locales et touristes se multiplient. Toutes les nationalités sont potentiellement visées. Certains kidnappings connaissent des dénouements tragiques : ainsi celui d’un ingénieur polonais décapité par ses ravisseurs en février 2009, après plus de quatre mois de détention.

Il est encore trop tôt pour juger de l’impact réel de la mort d’Oussama Ben Laden au Pakistan.
Depuis des années, l’instabilité du pays s’inscrit dans la région la plus concentré en puissances nucléaires : Inde, Chine, Pakistan et bientôt Iran. L’équilibre de la terreur entre non démocraties s’avère un danger mondial tangible. Enserré entre deux voisins turbulents, l’Iran d’une part et l’Afghanistan d’autre part, en conflit frontalier permanant avec l’Inde à propos du Cachemire, le Pakistan parait à l’heure actuelle une bombe à retardement bien plus préoccupante que les menaces potentielles iraniennes.


Noémie Grynberg / Israel Magazine 2011

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