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Noémie Grynberg Penser le monde : information et analyse

Le Bahreïn : pays chiite au bord de l’explosion ?

Le Bahreïn est un des rares Etats musulmans, avec l’Iran et l’Azerbaïdjan,  à majorité chiite. Ces derniers mois, cette monarchie du Golfe Persique a été touchée par la vague régionale de protestation arabe demandant plus de démocratie. Mais contrairement aux autres pays, ces sont les luttes religieuses internes plus que politiques qui chahutent le pouvoir bahreïni.

Le Bahreïn est le plus petit État de la péninsule arabique. Son économie est très dépendante du pétrole et de ses produits dérivés qui représentent 60% des exportations du pays et des revenus du gouvernement ainsi que 30% du PIB. Parallèlement le Bahreïn dispose d’importantes réserves de gaz naturel et occupe la 2e place bancaire du Moyen-Orient.

Le système politique du Bahreïn repose sur une monarchie héréditaire. L’islam est religion d’Etat. La population, très majoritairement urbaine (90%), compte 90 % de musulmans répartis entre chiites à 70 % et sunnites à 30 %. Mais les chiites majoritaires, dont la loyauté est mise en doute par le pouvoir, sont sous-représentés au gouvernement et subissent différentes formes de discrimination de la part de la minorité sunnite dirigeante. Le roi qui n’a pas foi en son peuple, mène une politique d’immigration en faveur des sunnites.

Un contexte politique répressif
Suite aux sévères répressions des dernières émeutes, le Bahreïn a fait un bond en arrière au niveau des droits politiques et des libertés civiles. L’opposition réclame la démission du gouvernement et l‘élection d’une nouvelle assemblée constituante. Mais les protestataires radicaux veulent transformer le royaume en république (islamique ?).
Malgré sa nouvelle constitution de 2002 et son processus de libéralisation, le Bahreïn n’est pas un Etat libre ni démocratique. En effet, la famille royale sunnite monopolise tous les postes politiques stratégiques. Au niveau civique, la liberté d’expression est restreinte et les autorités harcèlent régulièrement les activistes qui critiquent le pouvoir publiquement. La liberté de rassemblement et de manifestation est sévèrement limitée. La police use régulièrement de violence pour briser les protestations politiques. La torture et les détentions arbitraires sont pratiquées.
Concernant les médias, ils sont tous détenus par le gouvernement. L’autocensure est encouragée  par la Loi de la Presse qui autorise l’Etat à emprisonner les journalistes qui critiquent le roi ou l’islam ou qui menacent la ‘’sécurité nationale’’. Les sites internet politiques sont bloqués.
Au niveau académique, la liberté n’est pas formellement restreinte mais les enseignants et professeurs ont tendance à éviter les débats politiques sensibles. Les universitaires qui critiquent le gouvernement sont poussés à la démission.

Des tensions intercommunautaires exacerbées
Au niveau institutionnel, le pouvoir législatif est contrôlé par les sunnites. La chambre haute ne compte aucun chiite et dans la chambre basse ne siègent que 18 députés chiites sur 40 alors qu’ils représentent près des trois quarts de la population. D’ailleurs, la communauté chiite est divisée entre une frange qui accepte de jouer le jeu des institutions et les jusqu'au-boutistes qui veulent un changement de régime.
Les tensions entre la majorité chiite et la minorité sunnite dirigeante se sont intensifiées depuis 2009, lorsque 3 leaders opposants chiites ont été arrêtés par les autorités. Les violences intercommunautaires ont à nouveau opposés les deux camps ces derniers mois, suite aux soulèvements populaires qui ont embrasé la région. Elles ont été exacerbées par la politique gouvernementale qui, pour tenter de contrebalancer la répartition confessionnelle, distribue des passeports et octroie la nationalité à tour de bras à des expatriés syriens, yéménites, bédouins de Jordanie et pakistanais, tous sunnites. Ces nouveaux naturalisés, qui représentent au total 54% de la population, seraient recrutés dans les métiers de la défense (par l’armée ou la police) et bénéficient gratuitement de services sociaux. Car soucieux de ne pas armer les chiites, le pouvoir, depuis quinze ans, fait massivement appel aux Baloutches, Jordaniens et Irakiens dans les forces de sécurité et les services de renseignement. Ce qui met en colère la population. De plus, le gouvernement désavantage les chiites au profit des sunnites. Ainsi, quand un Bahreïni chiite fait une demande de logement, il peut attendre 20 ans alors que les expatriés sunnites se voient promettre un logement et des papiers en moins d’une semaine. Le salaire des chiites n’arrête pas de baisser et leur chômage grimpe car leurs chances d’emploi sont limitées.

Un vent de révolte
Surfant sur la vague de démocratisation régionale, les revendications des chiites sont d’abord d’ordre politique. Ils ne veulent plus d’une monarchie constitutionnelle avec un Parlement aux pouvoirs limités. Sans souhaiter renverser la monarchie, ils demandent simplement que le Premier ministre soit chiite, pour rétablir l’équilibre des pouvoirs. De ce contexte politique découle aussi des revendications sociales et économiques. Les chiites réclament que justice soit rendue à la majorité du pays, la plus pauvre et surtout la plus cachée, dans les bidonvilles, loin derrière le décor des villes modernes.
Mais la majorité chiite du royaume a, par ses appels à la chute de la monarchie, poussé les sunnites à la défensive et renforcé leur allégeance à la famille régnante des Al-Khalifa, de crainte d'une hégémonie chiite. Face au soulèvement chiite, la minorité sunnite du Bahreïn, jusqu'à présent largement apolitique, s'est radicalisée, accentuant le risque de violences confessionnelles.
En mars dernier, appelés en renfort par le gouvernement bahreïni, les soldats saoudiens sont venus prêter mains forte aux forces de sécurité du petit royaume pour y rétablir l’ordre.

Géographiquement pris en tenaille entre l’Arabie saoudite sunnite d’une part (alliée du pouvoir) et l’Iran chiite d’autre part, le Bahreïn risque de devenir le prochain terrain de lutte entre les deux antagonistes régionaux.


Noémie Grynberg / Israel Magazine 2011

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