Noémie Grynberg Penser le monde : information et analyse

L’Europe est-elle en train de chasser ses Juifs?

L’antisémitisme est en hausse sur l'ensemble de l'Europe. C’est le constat pour 2014 du Centre Kantor de l’Université de Tel-Aviv, de l’Agence européenne des droits fondamentaux (FRA) et de la Ligue Anti-diffamation entre autres. Le phénomène s’est davantage accentué avec le début de l’opération israélienne Roc Solide contre le Hamas à Gaza. Constat.

VandalismeDans un communiqué début aout, le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-Moon a « déploré la récente augmentation des attaques antisémites, particulièrement en Europe ». C’est dire si la situation des Juifs devient telle, au niveau de la violence physique et orale, qu’elle est comparée à celle de l’Allemagne en 1930 : menaces verbales, graffitis, vandalisme, incidents virtuels sur internet où 95% des messages antisémites fleurissent sur les forums de discussion classiques. Sans oublier les synagogues et écoles juives attaquées, les magasins boycottés, les rabbins molestés, les personnes agressées, les humiliations publiques, les appels au meurtre et les actes criminels. Il s’agit moins là d’antisémitisme d’extrême droite que d’islam radical.

Tour d’horizon
Les rapports sur l’antisémitisme en Europe placent la France en tête de liste. Les dérapages verbaux, abondants depuis que le sinistre Dieudonné a libéré la parole « antisioniste », se retrouvent jusque dans les rangs des élus. Ainsi, les propos d’Ahmed Chekhab, l'adjoint au maire PS de Vaulx-en-Velin (Rhône-Alpes), fin mai : « Tu préfères te faire niquer par un Zittoun, tu préfères te faire niquer par un Juif plutôt que de te faire aider par quelqu'un qui te ressemble ? » Le climat de tensions et la hausse des attaques à l’encontre de la communauté juive poussent nombre de ses membres au départ, explique Joël Mergui, Président du Consistoire central israélite de France. « L’augmentation de l’alyah pour des raisons sécuritaires traduit le malaise des Juifs de France. Cela envoie un mauvais signal à la société française qui ne sait pas faire le nécessaire pour donner aux Juifs l’envie de rester. » En effet, depuis janvier, 4 000 Juifs français ont émigré en Israël. Jusqu'à présent, l'Agence juive a reçu plus de 10 000 demandes d'information et organise des réunions, trois fois par semaine à Paris. « En Ile-de-France, près de 25 000 Juifs se posent sérieusement la question de faire leur aliyah dans les prochains mois », affirme Ariel Kandel, directeur de l'Agence juive en France. La raison qui les pousse à partir : l'insécurité qu'ils disent ressentir. « L'indifférence de la société civile sur la question de l'antisémitisme inquiète à long terme les Juifs de France » insiste Ariel Kandel. « La communauté juive est aux abois », assure pour sa part un membre du Bureau national de vigilance contre l'antisémitisme (BNVCA). Elle est victime de 40% des violences physiques racistes en France, alors qu’elle représente moins de 1% de sa population, selon le service de protection de la communauté juive (SPCJ). C’est pourquoi, les Juifs affirment qu’ils préfèrent monter en Israel, même si le pays est en guerre plutôt que d’élever leurs enfants dans l’Hexagone. Certains prédisent même un lent exode massif de France et éventuellement d’Allemagne, de Belgique et d’ailleurs. En effet, selon Dieter Graumann, Président du Conseil central des Juifs de RFA, ceux- ci « sont de nouveau menacés en Allemagne et parfois agressés, des synagogues dégradées et désignées comme la cible d'attaques ». Cet été, dans plusieurs villes du pays, manifestations contre l'opération militaire israélienne dans la bande de Gaza, slogans antisémites et appel à l'extermination des Juifs se sont multipliés. Comme en Belgique où peur et injustice règnent parmi les des membres de la communauté depuis le début de l’opération Roc Solide. Il s’agit d’une véritable déferlante anti-israélienne sur les réseaux sociaux, en grande partie relayée par les médias. Par exemple, Hassan Aarab, membre du parti démocrate-chrétien flamand, écrivant début aout : « Je pense que les Allemands n'ont volontairement pas tué tous les Juifs de façon à ce que nous comprenions aujourd'hui pourquoi (Adolf Hitler) voulait les détruire ». A tel point qu’aux Pays-Bas, d’anciens politiciens conseillent aux Juifs de quitter le pays. La menace existentielle imminente contre eux a été abordée par Esther Voet, directrice du Centre d’information et de documentation sur Israël (CIDI). Quant à Benjamin Albalas, Président de la communauté juive de Grèce, il tire le signal d’alarme : « L’attitude de l’Europe est de promouvoir la délégitimisation de l’Etat d’Israël… et c’est une première étape vers l’intimidation du droit des Juifs d’habiter dans leur propre pays d’origine ».
Une enquête de l'Institut de politique populaire juive (JPPI), publiée au début du mois de juillet, montre aussi l’inquiétude des Juifs du Royaume-Uni, la deuxième plus grande population juive d’Europe. 70% d’entre eux regrettent une « montée de l’antisémitisme » notamment sur Internet et dans les médias. La moitié des sondés « éviterait dans ses déplacement en zone urbaine, de porter un signe religieux ostentatoire » par crainte pour leur sécurité. Car cela est désormais considéré comme « un problème ». Le malaise ne s’arrête pas là : injures, agressions, déclarations anti-israéliennes, boycott des produits israéliens. Jusqu’aux propos de George Galloway, député britannique de la gauche radicale, déclarant en aout « Nous condamnons cet état illégitime, barbare et déjantée appelé Israël, à vous de faire de même ».
Même la Suisse devient la cible d’activistes anti-israéliens. Les Juifs sont désormais assaillis devant la synagogue de Genève. En Hongrie, le gouvernement laisse réhabiliter sans broncher des figures antisémites de la Seconde guerre mondiale. Mihaly Zoltan Orosz, maire d’Erpatak, a soutenu fin juillet : « La direction d’Israël est au service de l’Antéchrist ».
Dans le même temps, l’Italie connait une éclosion de graffitis, d’affiches antisémites et anti-Israël, d’appel au boycott de magasins appartenant à des Juifs. Une hausse du nombre d'attaques antisémites signalées au Danemark a amené les hommes politiques locaux à organiser une « marche de la kippa » dans le centre de Copenhague en faveur du droit du peuple juif à afficher ouvertement sa religion. Enfin la Norvège n’est pas épargnée. Les 819 derniers  Juifs sont en train de quitter le pays où la pratique religieuse se voit fortement remise en cause et la critique des Juifs transformée en haine des Juifs.

Réactions israéliennes
Israel aussi se sent concerné par la montée antisémite en Europe. Une commission de la Knesset s'est inquiétée de l’escalade des incidents lors des manifestations pro-palestiniennes de solidarité avec la bande de Gaza. Vladimir Sloutzker, à la tête du Congrès juif israélien, a déclaré crument : « jamais depuis l’Holocauste nous avons vu une situation telle qu’aujourd’hui. » Pour le député Yoav Bentsur du parti Shass, « il est impossible qu’en 2014, un Juif doive retirer les symboles juifs avant de descendre dans la rue en Europe… si vous ne prêtez pas attention au problème maintenant, il sera bientôt trop tard ». Selon Nathan Sharansky, le chef de l’Agence juive, la question du départ des Juifs du Vieux continent parait imminente : « Je crois que nous vivons le début de la fin de l’histoire juive en Europe. Je vois cela comme un moment historique – comme le début du processus de distanciation des Juifs d’avec l’Europe ».

Fuir l’Europe ?
A la question « faut-il quitter l’Europe ? », le rabbin Moché Lewin, Directeur de la Conférence des rabbins européens, répond que cela dépend du pays. Pour certains Brulotcomme la Hongrie, il pense que oui car non seulement le gouvernement n’aide pas à combattre l’antisémitisme mais il abonde en son sens, érigeant l’extrême droite en idéologie. L’Ukraine et la Grèce figurent également sur la liste des pays préoccupants. Par contre, la France, la Belgique ou le Royaume Uni mènent des actions de lutte contre l’antisémitisme même si elles ne réussissent pas toujours à la hauteur des souhaits de la communauté juive. Mais au moins, ces gouvernements agissent pour assurer la sécurité de leurs citoyens. En fait, pour Moché Lewin, la question de partir doit se faire par choix personnel, pas par fuite. « Il ne faut pas fuir l’Europe, il faut se battre ». Quels seraient alors les moyens à employer au niveau européen pour endiguer cette vague de haine ? Selon le rabbin Lewin, il faudrait davantage de concertation entre les pays afin de mener une action prioritaire. La Conférence des rabbins européens attend de leur part plus d’efficacité et de sérieux. Elle espère des gouvernements des mesures concrètes contre la parole antisémite, dans la rue comme sur internet. Lewin poursuit : « que dans chaque pays, les ministères de la Justice, de l’Intérieur et de l’Education travaillent ensemble ». Le problème reste que des lois contre l’antisémitisme ne peuvent être votées au niveau du Conseil de l’Europe. Elles ne peuvent l’être qu’au niveau des Etats. Aussi, la Conférence des rabbins européens tente-t-elle de faire adopter des « standards » définissant clairement l’antisémitisme et interdisant la propagation de la haine par internet ou dans les livres, comme le fait en France avec la loi Lellouche (texte tendant à aggraver les peines punissant les infractions à caractère raciste ou antisémite, adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale le 10 décembre 2002, ndlr). De plus, la Conférence des rabbins européens incite les gouvernements et dirigeants communautaires à assurer la sécurité des citoyens ainsi que la liberté de pratique. Car pour le rabbin Lewin, la situation des Juifs en Europe ne se révèle pas seulement préoccupante à cause de l’antisémitisme, elle l’est aussi au niveau de la pratique religieuse, comme au Danemark qui a interdit l’abattage rituel. En conclusion, le rabbin Lewin pense que si l’Europe ne protège pas ses Juifs, la violence de l’intégrisme musulman prendra plus d’ampleur. Il faut donc rester vigilent sans baisser les bras et défendre le droit à vivre en Europe en tant que Juifs.

Noémie Grynberg 2014

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Commentaires

  • moi

    1 moi Le 01/07/2015

    Si on pouvait échanger les arabes contre les juifs ! Plus de problèmes ! On aurait au moins une population tirée vers le haut, et pas nivelée vers le bas comme actuellement.

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