Noémie Grynberg Penser le monde : information et analyse

Grands-parents et judaïsme

Les grands-parents représentent les valeurs d’une société. Suivant le sexe, ils sont dépositaires soit des traditions religieuses, liturgiques, soit des coutumes culinaires, culturelles. Pourtant, la Tora elle-même ne fait que rarement référence aux grands-parents. Malgré leur formidable évolution face au monde technologique, ils n’en restent pas moins les garants de la mémoire familiale.

Les grands-parents symbolisent les racines, la chaîne qui lie les générations malgré les vicissitudes de l’histoire. Pour ne pas rompre le lien générationnel, ils sont la base de la construction identitaire qui permet à l’enfant de connaître son histoire, qui il est, d’où il vient. Importants quant à la lignée familiale et personnelle, les grands-parents incarnent la pérennité des traditions, des valeurs, l’assise sur laquelle se bâtit la pyramide généalogique permettant de se situer géographiquement et relationnellement. Même disparus ou non connus, ils restent la référence intemporelle. Dans ce cas, la transmission se fait souvent à travers le prénom donné à l’enfant : celui du grand-père ou de la grand-mère. Cela l’inscrit donc dans la lignée familiale. Il porte à travers ce prénom le poids de la mémoire ancestrale. Sa signification définit la personne, son signifiant transcende les générations.

Les grands-parents permettent souvent de mieux comprendre et connaître ses propres parents. Généralement, les conflits parents-enfants ne sont que le reflet ou la reproduction du schéma parental que les parents eux-mêmes ont connu dans leur propre enfance. D’où l’importance de lien transgénérationnel pour la constitution de son propre ‘’moi’’ car l’identité personnelle ne naît pas ex-nihilo. Elle s’appuie sur les affects parentaux et grands-parentaux.

L’identité juive se rattache également aux grands-parents. Ne dit-on pas : ‘’ Est Juif celui dont ses petits enfants sont juifs’’ ? Cette définition fait intervenir les deux éléments importants qui caractérisent le peuple juif : celui de la responsabilité (envers la communauté) et celui de la  transmission (envers le privé). La Tora enseigne : ‘’ Et tu le raconteras à tes enfants et petits-enfants le jour où tu étais debout au Mont Horev devant l'Eternel ton Dieu’’. Ainsi, d’après nos sages, le témoignage, à travers tant de générations, n'est possible que si les petits-enfants sont liés avec leurs grands-parents. La Guemara apprend : "Celui qui enseigne la Thora à son petit-fils est considéré comme s'il recevait la Thora au Mont Sinaï". D'après la tradition, ce sont les grands-parents qui peuvent ramener à notre conscience cette connaissance enfouie au fond de nous-mêmes.

Au-delà de la mémoire familiale, ils transmettent aussi la mémoire populaire, celle de leurs ancêtres, de leur pays natal, de leurs coutumes. Souvent, la Halaha ou les ‘’Minhagim’’ respectés dans les familles viennent des grands-parents qui incarnent l’autorité religieuse, la sagesse à laquelle on se réfère, surtout si les parents ne sont pas pratiquants. Le judaïsme est fondé justement sur la fonction primordiale de la tradition et de l’enseignement des Anciens. De là, le grand respect que voue le judaïsme aux aînés.

Pour les séfarades, les grands-parents évoquent un monde révolu, celui du temps ou ceux-ci vivaient encore en Afrique du Nord ou en Orient. Ils parlent généralement avec regret et mélancolie des ces pays étrangers ou leur histoire remonte souvent à plusieurs générations, de la douceur de vivre de ‘’là-bas’’. Mais pour les ashkénazes, il s’agit d’un autre un monde révolu, celui englouti par la folie meurtrière de la Seconde Guerre mondiale. Pour eux, les grands-parents sont surtout les témoins vivants, survivants, de la Shoah, ceux qui ont vu, subi ce désastre sans pareil. Le poids du traumatisme se transmet au-delà des générations. Les petits-enfants, qu’ils le veuillent ou non, qu’ils en soient conscients ou non, portent ce fardeau traumatique, une espèce de sensibilité spéciale, une sorte de paranoïa. Ceux de la deuxième génération en savent quelque chose !

Pour les petits-enfants ‘’mixtes’’ (ashkénazes-séfarades), loin d’être un désavantage ou une cause de conflit, cette double culture ou appartenance est source d’enrichissement car ils ont à leur disposition deux références. Suivant leur sensibilité, les jeunes pencheront pour l’une ou l’autre. Suivant la proximité du lien avec les grands-parents aussi et surtout.

Mais au-delà de ces différences ethniques, la société elle-même a muté. Les familles ont éclaté, ont migré, se sont assimilées. Face à ces transformations communautaires et sociales, les jeunes ont perdu leurs repères. Les grands-parents personnifient alors la stabilité, la continuité. Pour le Rabbin Yeshaya Dalsace[1], devant la transformation du monde juif aujourd’hui, ils ont un rôle irremplaçable dans l’éducation et la transmission des valeurs juives. Les grands-parents deviennent les référents, une source de savoir et de sagesse formelle et informelle. L’histoire familiale se construit autour du savoir, des coutumes, des chants, des accents, des gestes, des valeurs.

Malheureusement aussi, du fait des bouleversements historiques et sociologiques de 20e siècle, les grands-parents sont les derniers dépositaires vivants d’une culture et d’une langue quasiment disparue, que ce soit le yiddish ou le ladino. De ce point de vue, la transmission transgénérationnelle s’est arrêtée.

Les petits-enfants, quel que soit le parcours ou l’histoire personnelle de leurs grands-parents, doivent se sentir fiers d’eux, se reconnaître en eux et perpétuer leur mémoire, leur héritage spirituel conforme aux valeurs juives et humaines. Sans quoi, ils se coupent de leurs attaches affectives et familiales, lit de toutes les dérives idéologiques.

Les racines familiales sont les racines de l’âme. Elles sont ce que nous sommes aujourd’hui, la somme et le résultat d’un formidable mélange de cultures, de traditions, de pensées, de sensibilités qui enrichissent notre histoire personnelle et nationale.

 

Noémie Grynberg 2004


[1] Rabbin de la communauté Massorti de Nice


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Commentaires

  • David Ben Harosh

    1 David Ben Harosh Le 12/08/2010

    Puis-je connaitre le nom de famille de vos grand-parents?

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