Noémie Grynberg Penser le monde : information et analyse

Une autre vision de l'école : pluralisme et tolérance

L’école religieuse pluraliste communautaire Re'ut de Jérusalem, située dans le quartier de la Moshava Germanit, fut fondée en 1999. Elle accueille aujourd’hui 230 élèves religieux et laïcs. L’établissement est activement engagé dans le développement d’un pluralisme religieux, pierre angulaire d’un nouveau système scolaire israélien. Re'ut n’est pas seulement une école, elle se veut une communauté au service de ses élèves, de leur famille et de la société israélienne en général. En 5 ans, le nombre d’élèves a presque doublé.

 

La spécificité de l’école Re'ut, c’est sa volonté d’établir des ponts entre élèves, professeurs, éducateurs et parents. Ce tissu relationnel se prolonge bien au-delà des murs de l’école, longtemps après la graduation des élèves.

Re'ut s’efforce de servir de laboratoire pour le développement de nouvelles initiatives éducatives, basées sur la diversité et la tolérance. Son objectif est d’exposer les élèves à une multitude de cultures, de pensées, de fois, de traditions, d’arts et de musiques. Conservant les valeurs du judaïsme, Re'ut est philosophiquement et pédagogiquement engagé dans la recherche des divers modes de pratique spirituelle et de réalisation de soi. L’école prône le dialogue inter-religieux, inter-minorités et inter-culturels.

 

La méthode Janusz Korczak : les principes  éducatifs

De son vrai nom Heryk Goldszmi, le Dr. Janusz Korczak, né en Pologne en 1879, est surtout connu du grand public pour son dévouement inconditionnel à la cause des enfants. Pendant la Shoah, Korczak dirigeait un orphelinat au sein du Ghetto de Varsovie. Le 5 août 1942, il décide volontairement de suivre ses enfants dans le train les emmenant vers Treblinka ou la mort les attendaient tous.

Korczak en tant qu’éducateur développa les principes une philosophie éducative cohésive très en avance sur son époque. Re'ut a intégré certaines de ses idées.

Ainsi, les enfants doivent être reconnus en tant que classe sociale au sein de la société. Ils ont des droits que leurs éducateurs doivent protéger en plaidant en leur faveur.

Selon Korczak, les adultes doivent éduquer les enfants afin qu’ils puissent exercer leurs droits sociaux, économiques, politiques. On doit donner aux enfants la liberté de prendre le contrôle de leur vie, de diriger leurs passions et de trouver leur indépendance personnelle. Korczak plaide pour une parité entre droits des enfants et des adultes. Aujourd’hui encore en Pologne existe la Polish Korczak Society qui gère un orphelinat à Varsovie.

Lorsque le projet de Re'ut a pris forme, parents, enfants et professeurs se sont réunis afin de développer ensemble les structures de la future école communautaire, ses lois, ses normes et son fonctionnement. Cette méthode a démontré que les enfants, loin de l’anarchie, ont une notion claire et saine des limites pour le bien de la communauté. Toujours sur le modèle du pédagogue, l’école possède un conseil administratif géré par les élèves.

On le voit, Re'ut est indissociable de Korczak. Dès le début, l’école s’est clairement engagée dans la défense des droits de l’enfant, la croyance en sa compréhension innée des relations sociales, la justice, la compassion.

L’année dernière, l’école Re'ut a trouvé une voie supplémentaire pour exprimer sa fidélité aux principes de Korczak. Lors du voyage annuel en Pologne, les élèves avec l’aide de survivants venus avec eux, ont passé trois jours à restaurer deux cimetières juifs dans de petits villages du pays.

Sa spécificité : apprendre à accepter l’autre dans ses différences

L’école offre un grand éventail de matières aux élèves : les programmes formels et informels comprennent des cours de mathématique, biologie, chimie, physique et informatique, des programmes basés sur le judaïsme et ses racines, le sionisme, les sciences humaines et sociales (histoire, instruction civique, littérature, philosophie, psychologie et sociologie), les différentes religions, cultures et langues (hébreu, anglais, arabe, japonais, français, espagnol, italien, amharique, yiddish ou le langage des signes). Les cours de langues s’accompagnent d’une immersion culturelle : études sur l’art, la culture, le folklore, les traditions ou la religion qui lui correspondent.

L’art n’est pas en reste avec des cours pratiques de musique, danse, théâtre ou communication.

Les valeurs enseignées ne sont pas que théoriques, elles débouchent sur des discussions et des actions extrascolaires.

Mais la spécificité de l’école réside surtout dans les cours de pluralisme : comment percevoir les différences, toutes les différences (minorités, classes sociales, pratiques et courants religieux juifs), comme un ensemble complexe.

A l’image de la société pluraliste israélienne, Re'ut réunit tous les courants religieux (réformé, reconstructioniste, traditionaliste, orthodoxe, laïc) et politiques (de la gauche à la droite). Sa mission consiste à créer un environnement ou l’identité de chacun peut s’exprimer : croyant, non croyant, pratiquant, non pratiquant.

La journée scolaire débute par la prière commune, comme dans les écoles orthodoxesconventionnelles. Mais ici l’expérience de la diversité constitue un des plus grands défis en matière d’expérience éducative. 

En plus de la prière classique, les élèves peuvent expérimenter d’autres voies de connexion spirituelle comme le hassidisme, la contemplation, le Tai Chi, le yoga, la méditation, la danse, la rythmique. 

Dans son souci de dialogue inter-communautaire, Re'ut organise des rencontres avec d’autres écoles juives, chrétiennes (maronites) et arabes. Dans cette optique, les relations israélo-palestiniennes ont été développées au-delà du conflit de ces dernières années.

 

Au–delà de l’école : un engagement social

Grâce à sa reconnaissance nationale et internationale, Re'ut est aussi un institut pluraliste de formation pour éducateurs, enseignants et directeurs de futurs établissements pluralistes.

Re'ut n’est pas seulement un système d’enseignement. Elle prolonge son idéal dans plusieurs actions concrètes.

Depuis 1999, les élèves de l’école, concernés par les problèmes de pauvreté en Israël, ont créé un service de ‘’soupe populaire’’ (Bayit Cham) qui distribue 300 repas chauds par semaines aux nécessiteux, des paniers de shabbat et de fête.

L’initiative est soutenue par des donateurs américains, européens et israéliens.

Fidèle à son idéal social, l’école développe également des programmes sociaux et de volontariat destinés aux élèves : aide aux enfants sourds, aveugles ou retardés, aide aux femmes battues ou aux survivants de la Shoah. Les volontaires interviennent entre autre, auprès du Magen David Adom, de l’hôpital Hadassah (service des enfants cancéreux), de l’hôpital Tel Chai ou de l’hôpital psychiatrique Kfar Shaul.

Ce programme appelé ‘’Maaser’’ est basé sur le concept de mitsva.

 

Rencontres avec les élèves de Re'ut

Ce qui frappe de prime abord lorsqu’on parle avec les élèves de Re'ut, c’est leur maturité par rapport à leur âge. Ces jeunes tiennent des propos cohérents et réfléchis. Ils se posent des questions sur l’identité juive et religieuse, sur l’importance et la priorité des valeurs dans la vie, sur leur place dans la société. Ces élèves, de la quatrième à la terminale, témoignent déjà d’une ouverture d’esprit et d’une tolérance particulières. Ce microcosme se veut à l’image d’une société israélienne idéale, ouverte et pluraliste. Ce qui importe surtout à l’équipe pédagogique, plus que de former de ‘’bons Juifs’’, c’est de former d’ ‘’honnêtes hommes’’.

  

 

 

Noémie Grynberg / Israel Magazine 2004



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