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Noémie Grynberg Penser le monde : information et analyse

Le Mont Herzl, symbole d'héroïsme et de renaissance

Se référant à sa culture, Israël, en tant qu’Etat juif, a, dès son Indépendance, intégré les fêtes juives (hisorico-religieuses) dans son calendrier, en en ajoutant une nouvelle d’ordre strictement national : le Yom Haatsmaout (Jour de l’Indépendance). Ce dernier, comme toutes les fêtes de la tradition hébraïque, commence et se termine à la tombée de la nuit. Ainsi, le rite juif est associé au symbole du renouveau national.

Chronologie des cérémonies : création d’une cosmogonie sioniste
Les 3 cérémonies nationales officielles, Yom Hashoah, Yom Hazikaron et Yom Haatsmaout, relatent la sémiotique (théorie des signes culturels) de l’Etat-Nation dans sa chronologie des événements historiques de l’époque moderne, construisant conjointement une structure narrative.
Les dates des différentes cérémonies nationales (non religieuses) du mois hébraïque de Iyar ne sont ni naturelles ni évidentes. Elles ont été choisies pour créer un sentiment de groupe dans l’unité aussi bien que dans le singulier. Selon l’anthropologue français Claude Lévy-Strauss, la notion d’« avant » et d’« après » crée l’Histoire. Ainsi, le rythme du temps et la rhétorique sioniste prennent forme dans la suite des fêtes de Sivan-Iyar. Le jeune Etat a choisi ces journées nationales symboliques afin de mettre en avant la sémiotique de ses nouveaux concepts.

La singularité de la fête nationale israélienne par rapport aux autres nouvelles nations s’exprime par les cérémonies précédant ce jour de joie : le Yom Hazikaron (Jour du Souvenir). L’intention des fondateurs du pays est claire : la cérémonie officielle ouvrant les festivités du Jour de l’Indépendance comprend la clôture du Jour du Souvenir. Le premier n’a de sens que par rapport au second : le sacrifice des soldats tombés dans les guerres d’Israël ne se justifie que par rapport à la souveraineté nationale gagnée. Le sacrifice sans Etat n’a pas de sens national ; l’Etat s’est construit grâce à l’abnégation de ses combattants. Bien que le Jour du Souvenir ne soit pas chômé, contrairement au Yom Haatsmaout, la veille au soir, les lieux de divertissement sont fermés en signe de solidarité nationale. Des sirènes (les mêmes que celles qui annoncent les alertes de guerre) se font entendre uniformément dans tout le pays qui se tient au garde à vous pendant une minute. Le lendemain, de la même façon les sirènes retentissent à nouveau pendant 2 minutes. Elles signifient l’ouverture officielle des cérémonies dans les cimetières militaires de tout le pays. A contrario, les débuts de la fête nationale se caractérise par une multitude d’activités diverses, officielles et non officielles, feux d’artifice, chants et danses, etc. Le lendemain, des prières spéciales sont récitées dans les synagogues, les bases militaires sont ouvertes aux civils, les parcs publics et nationaux sont pris d’assaut par les Israéliens pour le pique-nique traditionnel avec barbecue.
Pour les Israéliens, la concomitance des 2 événements relève de l’ordre de la morale malgré la proximité entre peine et joie. Le prix (mort des soldats) est celui de l’indépendance. La simultanéité du Yom Hazikaron et du Yom Haatsmaout exprime nettement la courte chronologie entre la création de l’Etat et la guerre d’Indépendance. Pour les Israéliens, il existe donc une identité inséparable entre ces 2 événements.
Le choix d’une date comme fête nationale n’a pas été laissé au hasard. Les fondateurs d’Israël auraient pu choisir le 29 novembre, jour du partage de la Palestine à l’ONU. Mais cela aurait signifié une décision entérinée internationalement par des étrangers et des non juifs et non un acte national de renaissance juive. Ils auraient aussi pu choisir la fin de la guerre d’Indépendance terminée par un cessez-le-feu et non un accord de paix ou un armistice. Mais cela aurait mis en avant la lutte armée pour obtenir l’indépendance. Ou alors, ils auraient pu choisir la date des premières élections à la Knesset, mettant l’accent sur la création d’un parlement israélien c’est-à-dire des valeurs démocratiques parlementaires. Mais finalement, c’est la date hébraïque de la déclaration d’Indépendance qui a été retenue pour symboliser la naissance du nouvel Etat juif, le 5 Iyar c’est-à-dire 13 jours après la fin de Pessah, fête de la liberté. Yom Haatsmaout est donc la continuité logico-historique allant de la sortie d’Egypte à la libération nationale.
Avant ces deux dates, les officiels ont fixé une nouvelle cérémonie : le Yom Hashoah (le 26 Sivan, 5 jours après la fin de Pessah) précédant les solennité du Yom Hazikaron et du Yom Haatsmaout. Cette décision contribue à former l’axe narratif. Bien que jour non chômé, les lieux publics de divertissement sont fermés dès la veille au soir.
Le choix de la date du Yom Hashoah n’est pas non plus un hasard. Il correspond au jour anniversaire du soulèvement héroïque des Juifs du ghetto de Varsovie en 1943 contre les nazis. Ce 19 avril 1943 tombait la veille de Pessah, le soir du seder selon le calendrier juif. Mais la tradition interdit le deuil pendant la fête. La date de la commémoration a donc été fixée au 27 Nissan, jour de la sanglante répression du soulèvement juif du ghetto de Varsovie et 7 jours avant la fête de l’Indépendance ; semaine symbolisant les jours de deuil dans la loi juive, la shiva. Le Yom Hashoah relie la fête historique de la liberté (Pessah) au jour de l’indépendance moderne. Ainsi, la tragédie du judaïsme galoutique est éloignée du deuil national mais en même temps relié par l’axe temporel en devançant le Jour du Souvenir des soldats tombés pour la patrie et de la commémoration nationale de la Déclaration d’Indépendance. Cette proximité est une métaphore des relations entre le judaïsme galoutique et le judaïsme sioniste. Le déroulement historique est reconstitué : après la tragédie de la Shoah a eu lieu la guerre d’Indépendance pour enfin arriver à la création de l’Etat d’Israël. Du point de vue narratif moderne, le message est net : la vie a triomphé de la mort, la mort est le prix de la renaissance du foyer national. Par contre, le calendrier des fêtes juives (historiques, religieuses) ne respecte pas forcément l’ordre historique chronologique. Il correspond plutôt à un ordre cosmique, mythique alors que la suite des 3 commémorations indique une continuité dans l’axe de l’Histoire moderne, en harmonie parfaite avec le rythme cosmologique traditionnel des fêtes juives.

Symbolique du Mont Herzl
Ce narratif sémiotique se retrouve également dans la typologie du Mont Herzl à Jérusalem.
Après la guerre d’Indépendance, le lieu a été choisi pour devenir le cimetière militaire officiel du jeune Etat.
En 1949, le théoricien de l’Etat juif a été exhumé du cimetière de Vienne pour être inhumé en Israël, sur la colline qui porte désormais son nom, point culminant de la capitale avec une vue de 360 C°. A la même hauteur, non loin du tombeau de Herzl et de sa famille se trouve celui d’un autre pionnier sioniste : Zeev Jabotinski, ainsi que ceux de ses proches. Ainsi, les 2 prophètes modernes du sionisme reposent côte à côte. Représentants de l’idéologie du foyer national juif, ils incarnent la renaissance d’Israël sur sa terre ancestrale.
Plus bas sont enterrés les présidents de l’Etat et les Premiers Ministres avec leurs épouses respectives, les Présidents du Parlement, les leaders politiques.
Le haut du Mont Herzl personnifie par là l’origine du sionisme. En-dessous, les personnalités élues qui ont donné corps à cette vision, et enfin en contrebas le cimetière militaire. Ces 2 espaces se rejoignent tout comme se succèdent les Yom Hazikaron et Yom Haatsmaout lors desquelles la colline retentit des cérémonies officielles, allant des tombes du cimetière militaire au monument du fondateur de l’Etat.
En enterrant en un même endroit les créateurs et libérateurs de l’Etat juif, le Mont Herzl réunit pères et descendants de la Nation. Ce panthéon symbolise le sionisme laïc.

Plus en aval mais séparé du panthéon se trouve le musée « Yad Vashem » où se déroule annuellement les cérémonies officielles du Yom Hashoah.
Le lien entre le Mont Herzl et le Mont du Souvenir (Yad Vashem) est historique selon un développement dynamique. Sur la colline emblème du sionisme, le symbole de la Shoah se situe plus bas et éloigné topologiquement du sommet tout comme le Yom Hashoah est distant temporellement des cérémonies célébrant l’Etat-Nation.
Les hauteurs du Mont Herzl sont échelonnées selon l’ordre temporel des 3 cérémonies : de la destruction à la victoire en passant par la lutte pour la renaissance.

La pratique de ce cérémonial annuel mélange axe spatial et temporel dans une cosmogonie historique sioniste. Mais l’Histoire ne s’arrête pas. Le sionisme lui-même est en mutation et renoue avec la tradition. Pour marquer cette évolution, la veille du Yom Hazikaron est célébrée sur le parvis du Kotel, plus haut symbole de la spiritualité juive éternelle. Ainsi, la nation d’Israël retrouve toute son entièreté.


Israel Magazine / Noémie Grynberg, 2009

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