Noémie Grynberg Penser le monde : information et analyse

Les 75 ans de l’Aktion Erntefest

L’Aktion Reinhardt occupe une place centrale dans l’histoire de l’assassinat des Juifs d’Europe. Le programme, orienté contre des pans entiers du judaïsme polonais, notamment celui des districts de Varsovie, Cracovie, Lvov, Lublin et Radom, fera aussi nombre de victimes parmi les Juifs d’autres pays.

Sous l’appellation hermétique d’Aktion Reinhardt (du nom de Reinhard Heydrich, l'adjoint direct de Heinrich Himmler, haut dignitaire nazi) se cachent de terribles tueries de masse, les évacuations brutales des ghettos et les déportations dans les camps de la mort. Paradoxalement, les études historiques sur le sujet demeurent rares.
La décision de cette mise en œuvre sinistre a été prise semble-t-il en même temps que celle de l'assaut sur l'Union soviétique le 22 juin 1941. A partir d’août de la même année, des hommes de la chancellerie d'Hitler à Berlin furent successivement envoyés en Pologne orientale pour participer au génocide de la population juive. En mettant en place les sites d'extermination de Belzec (fin 1941), Sobibor (mars 1942) et Treblinka (juin – juillet 1942), tous situés à proximité de voies ferrées et à l'écart de zones habitées, les nazis entrèrent clairement dans la phase industrielle du génocide des Juifs. Ainsi dans les camps de l'Aktion Reinhard ont été exterminés davantage d'êtres humains qu'à Auschwitz. Ils étaient organisés comme de véritables usines de morts et ne pratiquaient aucune sélection.
C’est la déportation simultanée depuis les ghettos de Lublin et Lemberg les 16 et 17 mars 1942 qui marque le lancement effectif de la macabre campagne, achevée avec l’insurrection du camp de Sobibor, le 14 octobre 1943 et le massacre de l’Aktion Erntefest (Fête de la moisson), les 3 et 4 novembre 1943, qui signera la fin de l’action d’extermination des Juifs de Pologne.
La SS coopéra étroitement avec les représentants de l'administration civile allemande, tels que les bureaux de travail (Arbeitsamt) et les bureaux des chemins de fer dans les villes concernées. Une collaboration complète existait également entre les SS et les unités de la police. De plus, des volontaires ukrainiens et lituaniens, ainsi que des soldats de la Wehrmacht et des cheminots assistèrent les nazis dans cette monstrueuse opération.
On ne trouve aucune trace écrite de l'ordre d'exécution de l'opération Reinhardt. Cependant, elle constitue le plus grand programme d'extermination systématique mené par le national-socialisme : plus d'un million et demi de Juifs assassinés dans les centres d'extermination à grande échelle de Belzec, Sobibor, Majdanek et Treblinka en utilisant les gaz d'échappement de moteurs, technique déjà expérimentée en Allemagne pour l’élimination des handicapés.
Les éléments essentiels de l’Aktion Reinhardt, selon ses concepteurs, étaient la rapidité de l’exécution et le secret de l’information. Les génocidaires étaient conscients que ces conditions demeuraient un gage de pleine réussite de la « Solution finale ». De la sorte, les phases de mise à mort furent intenses et brutales : un demi-million de Juifs des districts de Lublin et de Galicie orientale disparurent à Belzec en 1942, en huit mois et demi de fonctionnement de ses chambres à gaz ; trois cent mille Juifs enfermés dans le ghetto de Varsovie furent assassinés dans celui de Treblinka entre juillet et septembre 1942.
Les 3 et 4 novembre 1943, la « fête de la moisson » fit au moins 42 000 morts (la plus grande tuerie de masse de la Seconde Guerre mondiale) et fut ordonnée par Heinrich Himmler pour clôturer l’Aktion Reinhardt. Ceux qui « échappèrent » aux chambres à gaz furent fusillés à Majdanek, Travnik et Poniatowa lors de ces deux jours fatidiques.
Par ailleurs, il faut noter que les aspects économiques du crime collectif faisaient partie intégrante du plan : pillage des biens des victimes et réquisition de celles-ci pour le travail obligatoire. Aussi l’Aktion Reinhard a-t-elle rapporté d'énormes revenus au Troisième Reich. Dès l'été 1942, près de 50 000 000 Reichsmarks en billets, devises, pièces et bijoux et aussi environ 1 000 wagons de textiles, dont 300 000 vêtements neufs ont été collectés. Sans compter les biens immobiliers et les entreprises.
L'Opération Reinhardt, point culminant de la politique nazie d'extermination des Juifs d’Europe, témoigne ainsi des mécanismes d'un génocide qui a vu s'enchevêtrer crime d'Etat, entreprise bureaucratique, endoctrinement idéologique et participation méthodique de volontaires zélés aux tueries de masse.

Noémie Grynberg 2018

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