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Noémie Grynberg Penser le monde : information et analyse

Le centenaire de la bataille de Tel Hai

Il y a 100 ans, le sanglant affrontement de Tel Hai entre Juifs et arabes est devenu l’archétype de l'effort sioniste pour contrôler la terre sur laquelle les pionniers se sont installés. Cet anniversaire est l’occasion de revenir sur un événement historique fondateur et de comprendre sa portée symbolique.

Tel Hai Dans le nord d'Israël, la localité agricole juive de Tel Hai est fondée entre 1905 et 1907. Jusqu’à la Première Guerre mondiale, le yeshouv est habité par intermittence. Après la guerre, un groupe de pionniers s'y installe et change son nom de Telha en Tel Hai (« colline de la vie » en hébreu).
L’implantation devient définitive en tant qu'avant-poste frontalier en 1918, après la défaite de l'Empire ottoman. La région fait ensuite l'objet d'ajustements frontaliers temporaires entre les Britanniques et les Français. En 1919, les Britanniques abandonnent la partie nord de la Haute Galilée à la juridiction française qui gagne son contrôle. Elle est peuplée de plusieurs tribus arabes bédouines semi-nomades et de quatre minuscules colonies juives : Metula, Kfar Giladi, Tel Hai et Hamra. Mais la contrée reste en proie à des troubles religieux et politiques généralisés.
Au début des années 1920, la guerre franco-syrienne s’y déclare entre les nationalistes arabes et la France. Des gangs de paysans frontaliers sévissent dans la zone définie entre la Palestine mandataire, le Liban et la Syrie.
Ainsi les villages juifs de Haute Galilée se voient régulièrement pillés par les bédouins pro-syriens sous prétexte de rechercher des espions et des militaires français.
Finalement en 1926, l’ancienne colonie juive du nord est intégrée au kibboutz Kfar Giladi.

Les enjeux historiques
À la fin de 1919, la tension dans la zone augmente, les Arabes attaquant les patrouilles françaises en prenant le contrôle effectif de la région. La situation des colonies juives isolées de la pointe nord de la Galilée semble très mauvaise. Une discussion acharnée se développe au sein de la communauté du yeshouv concernant leur avenir. Certains déclarent qu’elles doivent être abandonnées car le prix de leur défense s'avère trop élevé. Mais d'autres pensent que les colonies du nord doivent être défendues quel qu'en soit le coût. Ils conçoivent que l'abandon d’implantations menacées telles que Tel Hai et Kfar Giladi indiquerait un signe de faiblesse, un manque de détermination à les préserver et constituerait une invitation ouverte aux ennemies à attaquer n'importe où sur le territoire. Toute l'entreprise sioniste pourrait alors être en danger.
Les colons des avant-postes du nord se montrent déterminés à ne pas lâcher. Le faire leur parait une trahison. Mais en inspectant les forces arabes de la région et en les comparant à leurs propres maigres effectifs, ils hésitent. Il ne reste que 20 défenseurs à Tel Hai et environ le même nombre à Kfar Giladi ; en face, les adversaires arabes ont déjà mis en fuite les troupes françaises avec tous leurs canons.

Une bataille légendaire
Tout commence en janvier 1920, lorsque deux membres de la localité agricole juive sont tués dans une attaque arabe.
Peu après, le 1e mars (11 Adar 5680), la colonie juive est encerclée, attaquée et assiégée par des dizaines d'Arabes venant du sud Liban, accompagnés d'une grande contingence de villageois bédouins d'une ville voisine. Ils exigent de fouiller Tel Hai pour trouver des soldats français. Mais les assaillants ont pour véritable objectif de recueillir des renseignements, d'assassiner et de chasser les colons juifs.
Un fermier tire un coup de feu en l'air pour appeler des renforts à proximité stationnés à Kfar Giladi, dirigés par Joseph Trumpeldor. Lorsqu'il arrive avec ses dix hommes et voit qu'il est largement en infériorité numérique, il tente d'abord de renvoyer les milices arabes en négociant avec elles. Mais les pourparlers échouent et une fusillade s'ensuit entre les attaquants et la force paramilitaire de défensive juive. Les colons tiennent bon, malgré toutes les difficultés. Six Juifs et cinq Arabes sont tués lors des combats. Trumpeldor reçoit une balle dans la main et le ventre, il décède lors de son évacuation vers Kfar Giladi. Ces derniers mots sont : "Ce n'est rien - il est bon de mourir pour notre terre".
Les survivants de Tel Hai comprennent que leur position se révèle intenable et n'ont d'autre choix que de se retirer. Le village est finalement abandonné par les Juifs et brûlé après quoi par les milices arabes.
En souvenir des morts de la première bataille israélo-arabe, un mémorial a été érigé dans le cimetière de Tel Hai. Sa statue emblématique figure un lion dressé rugissant, exprimant la forceTel hai de Trumpeldor et de ses camarades. L’ancien emblème de Juda et de Bar Korba symbolise ainsi la continuité historique entre passé et présent.
Chaque année, le 11 Adar, une cérémonie officielle en l’honneur de l’événement a lieu pour Trumpledor et ses compagnons à Kfar Giladi où les jeunes combattants ont été enterrés dans une fosse commune.
Ces commémorations civiles et militaires annuelles ont pour but de renforcer la conscience et l’engagement national. De la sorte, Tel Hai demeure une source d’inspiration et un modèle pour les jeunes générations.

La symbolique de Tel Hai
Si un petit nombre de pionniers au début du siècle dernier n'avait pas eu le courage de résister aux épreuves du projet sioniste, la Galilée telle que nous la connaissons aujourd'hui n'aurait jamais fait partie de l'Israël actuel.
Aussi la signification de la bataille de Tel Hai reste-t-elle importante au niveau national, principalement en raison de son influence sur la culture israélienne. En effet, cette bravoure a profondément marqué l'armée du yeshuv, son ferme engagement et ses stratégies politiques pendant plusieurs décennies. Elle fait partie de l’ethos de la défense, de l’importance de combattre jusqu`au bout, du sacrifice suprême.
Au-delà, Tel Hai appartient au mythe des origines. Son narratif joue un rôle majeur dans les annales du pays. Ce symbole sioniste se présente comme un tournant majeur dans l’histoire juive. Il signifie une rupture avec le passé diasporique et l’émergence du nouvel esprit de la future nation hébreue, à l’instar de Massada. La mort des combattants juifs est perçue comme une abnégation pour la cause nationale, un ultime acte de patriotisme, une façon de relancer l’honneur national disparu en exil.
Le poète israélien David Shimoni (1891–1956) fait allusion à la bataille comme ‘’vision d’espoir’’ qui amène la promesse de la rédemption nationale. Elle donne le sens de la mission partagée et du but commun.
Tel Hai figure ainsi le début de l’histoire héroïque du futur Etat juif, une sorte de glorification du passé pionnier collectif du pré-Etat. La lutte incarne l’unité, sur la route de la construction du pays. 28 ans après la bataille mémorable, l’indépendance d’Israel s’est incarnée comme la preuve du succès de l’esprit de Tel Hai. Elle a renforcé l’efficacité du ‘’mythe des origines’’ israélien, reliant le passé à l’avenir.


Noémie Grynberg / Israel Magazine 2020

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