Noémie Grynberg Penser le monde : information et analyse

Rétrospective du Festival du Film de Jérusalem 2001

Cette année encore et sous une chaleur étouffante, pour la 18e édition du Festival du Film, du 12 au 21 juillet, Jérusalem s'est transformée en capitale du cinéma. L'occasion pour les festivaliers assidus de se déconnecter ces quelques jours de la situation politique du pays et de se couper de l'actualité quotidienne. Un bref espace de rêve dans une réalité de conflit.

Ambiance générale
Ce festival, ponctué de soirées musicales et buffets en plein air est depuis sa création essentiellement tourné vers les cinéphiles et amateurs du 7e art. Aussi, l'ambiance est-elle bon enfant et conviviale, décontractée à la façon israélienne, spectateurs de tous âges se mêlant aux VIP (politiques, producteurs, réalisateurs, comédiens, animateurs, journalistes, etc.) sans distinction. Ainsi, pas de tapis rouge, de limousines, de flashs crépitants de toute part, de cohue générale, de starlettes en tout genre, pas de strass ni de flonflon. Non, simplement un choix éclectique et varié de films, d'une grande diversité. Parmi les grands noms présentés, on peut citer dans le désordre Gitai, Kollek, Scola, Frears ou Chabrol entre autres. Seule petite ombre au tableau, peu de réalisateurs étrangers ont fait le déplacement cette année.

Quelques chiffres
Plusieurs catégories pour plus de 150 films en tout : documentaires, téléfilms, rétrospectives, courts et longs métrages projetés simultanément dans 5 salles de 10 heures du matin à minuit.

Plus d'une trentaine de pays participants, avec tout d'abord l'Europe, la plus représentée avec à elle seule plus de 16 pays et plus de 50 films. En premier, la France (14), puis l'Allemagne (7), l'Autriche, la Suède, l'Italie et l'Angleterre avec respectivement 4 films, la Hollande (3), la Pologne (2), et enfin l'Islande, le Danemark, l'Espagne, la République Tchèque, la Grèce, la Slovaquie, la Roumanie et la Hongrie proposant chacun 1 film. Vient ensuite l'Asie avec en tête bien sûr Israël (8 téléfilms, 24 longs métrages dont 15 en compétition officielle et 12 courts métrages), la Corée du Sud (3), la Turquie, la Russie, l'Inde et la Thaïlande avec chacun 2 films, le Japon la Chine, Taiwan et Hongkong présentant 1 film. Ensuite l'Amérique avec les Etats-Unis (21), le Canada, le Brésil et le Mexique présentant 1 film. Et enfin, unique représentante de son continent l'Australie avec 1 film. Pour l'Afrique, seules 2 coproductions avec la France. Sans compter les 22 coproductions.

La sélection
Une fois n'est pas coutume, le festival s'est ouvert par un long métrage américain d'animation nouvelle génération en 3D : Shrek.
Durant l
es 9 jours du festival, les films concourraient  pour onze prix dans les catégories suivantes : compétition officielle (longs et courts métrage) pour le prix Wolgin du meilleur film, drames TV, Panorama (cinémas du monde), ``l'esprit de liberté`` pour le prix Wim Van Leer, nouveaux réalisateurs, documentaires et enfin, ``l'expérience juive`` pour le prix du maire de Jérusalem.

Ont été décernés à l'issue de la compétition 15 récompenses dont : le prix du meilleur documentaire, le prix du meilleur court métrage, le prix Jérusalem pour la meilleure œuvre originale, le prix Noga pour un projet documentaire, le prix du meilleur drame TV, le prix du meilleur scénario de drame TV, et enfin, le prix de la nouvelle fondation du cinéma et de la télévision pour le meilleur documentaire.

La tendance générale
Le festival permet de découvrir un cinéma international diversifié digne d'intérêt, parlant à l'âme et racontant pour la plupart de façon sensible et touchante les petits et grands drames humains.

Une orientation commune à tous ces films : celle du problème de l'identité sous toutes ses formes : sexuelle avec A ma sœur! ou Southern Confort, familiale avec Martha...Martha, nationale avec Origine Contrôlée ou Route barrée, religieuse avec Hey! Ram, sociale avec Berlin is in Germany, culturelle avec Samia, politique avec No place to go. ``Qui suis-je vraiment et où se trouve ma place?`` semble être la grande question de ce nouveau millénaire comme dans Little Senegal, Bye bye Africa ou Immatriculation temporaire. Une nouvelle vague de films se focalise sur les problèmes humains auxquels sont confrontés les étrangers. Peut-être est-ce pour combattre une mondialisation de plus en plus galopante et une société de plus en plus métissée, que chaque culture part à la recherche d'elle-même, de sa mémoire, confrontée à ses mutations inéluctables et au cortège de problèmes qui s'en suit. Aussi, les nouveaux réalisateurs immigrés eux-mêmes remontent-ils à leur(s) source(s), cherchant leur(s) origine(s) comme dans Jalla!Jalla!, Chambre à louer, The new land, ou encore Avant l'orage. Il en résulte une sorte de ``cinéma vérité`` ou ``ethnique`` racontant sa propre culture en version originale dans la pluralité de ses coutumes.

Le multi culturalisme des différentes sociétés devient donc la norme et donne à voir un nouveau cinéma constatant les mutations sociologiques : les difficultés de l'immigration, de l'insertion, de la double appartenance. Finalement, il en ressort que quel que soit la nationalité ou l'origine, ces dilemmes se posent à tous. En cela, se crée une vraie fraternité entre déracinés. C'est peut-être cela le message commun de toutes les cultures et la vraie mondialisation.

Les thèmes juifs
Une vingtaine de films étrangers évoquent ce sujet varié sous une multitude d'aspects. Du documentaire à la fiction, ce problème est traité par des réalisateurs juifs comme non juifs.

Cinq grands thèmes se dégagent :

1) la vie juive: actuelle, celle apparemment traditionaliste des juifs de New York mais qui peut cacher une autre réalité avec I am Josh Polonsky's brother ou celle reconstituée d'avant la Shoa en Europe de l'Est, partagée entre tradition et modernité, conte et musique avec The vow, inspiré du fameux Dibouk.
Ou l'évolution
de celle quotidienne, politique, culturelle et religieuse des 6 millions de Juifs russes dans la 1ère moitié du 20ème siècle avec Russian Palestine, ou encore celle composite des Juifs de Vienne de nos jours face au changement politique autrichien avec Homemad(e).

2) l'identitéjuive : Sujet de société très actuel :comment concilier homosexualité et orthodoxie, ou comment accommoder amour et Tora? Dilemme pour ces femmes et hommes qui tentent d'harmoniser leur vie avec leur foi. Une enquête de 5 ans aux USA, en Angleterre et en Israël dans ce milieu caché et secret avec Trembling before God (prix du documentaire dans la catégorie ``Expérience juive``).

Comment se connaître soi-même? En partant à la recherche de son étymologie, dans une quête autour de son nom avec The sweetest sound ou dans une enquête familiale, en se questionnant sur la connaissance approfondie de la personnalité de ses parents, leur mariage, leur vieillesse, leur maladie, leur amour, leur vie et leur mort avec Gimme a kiss.

Comment surmonter cette crise d'identité lorsqu'elle survient dans la jungle urbaine des grandes capitales? C'est ce que tente de dépeindre avec humour En attendant le Messie (prix spécial exequo dans la catégorie ``Expérience ju-ive``). A l'opposé, basé sur une histoire vraie, The believer (prix spécial exequo dans la catégorie ``Expérience juive`` et grand prix du jury du meilleur film au Sundance festival) expose de façon beaucoup plus dramatique le problème extrême de la négation de ses racines, de son passé, peut-être de la haine de soi à son paroxysme.

Très beau et émouvant film aussi The man who cried évoquant l'attachement à la mémoire de sa propre culture non seulement pour les Juifs mais parallèlement pour les Tziganes ou quand les minorités se rencontrent et se solidarisent face au danger commun d'exter-mination nazi.
Enfin, l
e documentaire Circoncision, où l'identité culturelle se fait cultuelle, exprimant l'allégeance émotionnelle à un patrimoine commun entre Juifs et Musulmans hérité d'une longue tradition religieuse.

3) la 2e guerre mondiale: malheureusement incontournable, la tragédie juive qui décima l'Europe, que se soit dans un petit village de Slovaquie comme dans Landscape, à Rome dans Concurrence déloyale ou en Roumanie dans le documentaire dramatiquement Struma (prix spécial exequo dans la catégorie ``Expérience juive``). Chaque regard apporte à travers ses personnages son ton personnel face à une Histoire appartenant désormais au triste patrimoine collectif de l'humanité. Une mince lueur éclaire parfois ces heures sombres et noires, celle entre autre du documentaire Into the arms of strangers, ou comment la Grande Bretagne accueillit 10 mille enfants juifs d'Autriche, d'Allemagne et de Tchécoslovaquie, envoyés par leurs parents dans l'espoir de les sauver.

4) la paix au Moyen-Orient : mythe ou réalité? Les 2 documentaires Crossing bridges et Promises (prix spécial du meilleur réalisateur dans la catégorie ``l'esprit de liberté``), confrontent à l'épreuve de réalité les rêves de paix et prouvent que les initiatives individuelles sont possibles à un niveau personnel mais que la réalité politique prend le dessus et ruine ces tentatives de bonne volonté dans le contexte complexe de cette région.

5) les biographies: American masters : on Cukor et Kurt Weill, 2 hommages pour fêter leur centenaire. Documentaires sur la vie respective de ces 2 Juifs célèbres nés avec le 20e siècle, l'un d'origine hongroise émigré aux Etats-Unis, devenu l'un des plus grands réalisateurs de l'âge d'or d'Hollywood malgré son homosexualité, l'autre d'origine allemande également émigré aux Etats-Unis, compositeur de plusieurs comédies musicale et plus touchant, de la ``Hatikva`` demandée par Haim Weitzman en son temps.

Pour les fictions, One of the Hollywood ten (prix spécial dans la catégorie ``l'esprit de liberté``), retrace l'histoire véridique du réalisateur Herbert Biberman et de ses amis, pour la plupart Juifs émigrés aux Etats-Unis, évincé du cinéma pendant la chasse aux sorcières du maccartisme, la lutte pour son idéal démocratique et artistique, la fidélité à ses convictions profondes, le refus du compromis, l'honneur d'un homme intègre amoureux de son art et épris de liberté.
Enfin, H
is wife's diary relate certains chapitres de la vie de l'écrivain russe Ivan Bunin en exile en France.

Le cinéma israélien
Parmi 23 fictions et documentaires, les principaux nous donnent un formidable kaléidoscope de la réalité multiple et parfois insaisissable de cette société, sa richesse culturelle, ses travers sociaux et sociologiques, ses aspirations politiques.
Comment concilier toutes les contradictions de ce pays ?
Chaque œuvre aborde à sa manière les divers problèmes sociaux ou politiques sans y apporter de réponse mais en y posant un regard lucide, distancié ou humoristique. En tout cas, un regard franc qui n'élude pas ses difficultés et ne se voile pas la face. Autodérision et clairvoyance en sont les 2 aspects dominants.

Le problème no 1 en Israël est celui de la violence. Présente partout, la société est rongée par ce mal à tous ses échelons. Mais le plus dramatique reste celui quotidien de la jeunesse : viol, racket, meurtre, drogue, suicide. Injil, basé sur des faits réels raconte l'univers carcéral dur et dramatique des mineurs confrontés à ces excès. Autre vision de la jeunesse actuelle, celle de Girafes (prix du meilleur scénario), ou la vie des vingt ans à Tel-Aviv, affrontant la réalité de la vie de la grande ville.

Le rêve de coexistence pacifique est une constante dans la mentalité israélienne. Abordé sous 2 angles différents, celui réaliste du documentaire Wadi, Grand Canyon et celui satirique et futuriste de Made in Israël, ils se rejoignent cependant dans les aspirations contrariés d'hier, englouties dans une réalité abrupte d'aujourd'hui, et où seul le futur reste l'espoir de temps meilleurs. Dans le premier, Gitai évoque sur 20 ans, à 10 ans d'intervalle, de 1981 à 2001, les tentatives individuelles brisées d'harmonie ente Israéliens et Arabes, entre tradition et modernité. Les protagonistes évoquent avec nostalgie le temps des illusions perdues. Tourné dans l'oued de Haifa, sa ville natale, le réalisateur a voulu témoigner de son lieu d'origine, revisiter le site. Il utilise la caméra comme un médium permettant de s'interroger sur les contradictions politiques et sociales contrairement à la presse officielle qui renvoie une image déformée de la réalité telle que la vivent les gens simples. Gitai veut son film (3 heures) comme une utopie, une bataille pour résister à ce qu'il appelle lui-même ``la macdonaldisation`` du Moyen-Orient comme idéal.

Dans le second, Ari Folman brosse un tableau satirique des travers et absurdités de la société israélienne pourtant très proche de la vérité. C'est là son paradoxe justement. Made in Israël, sorte de politique fiction, projette un avenir proche de paix globale dans la région entre tous les voisins et notamment la Syrie. A noter, les très beaux paysages du Golan enneigé.

Passé, présent, futur, le temps en Israël prend une nouvelle dimension. Comprimé en 50 ans ou dilaté en 2000 ans, ici il ne s'écoule pas comme ailleurs. It's about time, prix Wolgin du meilleur documentaire explore cet espace particulier de la vie israélienne et tente d'expliquer avec humour et raison le pourquoi de l'impatience locale. Le temps est une valeur précieuse ici plus qu'ailleurs.

La mosaïque qui compose la société israélienne, le problème identitaire qui en découle, et la recherche de ses racines se retrouve dans ses films. Ainsi Mariage tardif (prix Wolgin du meilleur long métrage), Judith - histoire d'une convertie, ou A love beyond words, documentaire sur une communauté religieuse de nonnes cloîtrées dans le silence d'un monastère, à l'écart des turbulences du pays, sont 3 univers totalement différents et opposés, reflétant chacun un fragment de la réalité complexe de la société. Contraste frappant où entre tradition et foi, il est parfois difficile de trouver sa place, de s'intégrer et de vivre en accord avec ses choix. Ainsi, les extrêmes se rejoignent pour témoigner de la diversité du paysage humain d'Israël, de sa relative tolérance et ouverture.

Pour terminer, le contexte politique bien sûr n'est pas absent du paysage cinématographique israélien. Les documentaires Prisonnières ou Between the lines explorent la cohabitation difficile israélo palestinienne journalière des villes de Hebron et Ramallah, ou quand la routine devient une affaire militaire.

Pour conclure, depuis une dizaine d'année, le cinéma israélien a pris son envol et chaque année, on remarque sa constante évolution. Il nous donne à voir une diversité intéressante de points de vue et de sujets, abordés avec insolence, dérision ou sérieux. Il sait nous parler de nous même, de nos aspirations, de nos défauts, de nos problèmes sans tomber dans le misérabilisme ou l'apitoiement. Lucide, il est le reflet des rêves et des angoisses actuels que traverse la société. On ne peut que l'encourager sur la voie qu'il a choisi de suivre, pour nous faire rire, pleurer, nous divertir ou nous interpeller.

 

 ©Noémie Grynberg 2001

 

 

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