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Noémie Grynberg Penser le monde : information et analyse

Les peintres juifs de Montparnasse

C'était au temps où Montparnasse était le « carrefour du monde », et accueillait dans ses cafés et ses ateliers une foule d'artistes étrangers attirés par Paris, capitale des arts. Ils s’appelaient Soutine, Modigliani, Chagall, Max Jacob, ou Zadkine. Artistes juifs arrivant d’Europe de l'Est, ils rêvaient de la Ville Lumière. Hélas, ces peintres n'échapperont ni au régime de Vichy ni à l'occupation allemande. La plupart d’entre eux fut arrêtée, internée, déportée et exterminée dans les camps.

Entre 1900 et 1930, à Montparnasse, les échanges entre pays d’Europe de l’Ouest et de l’Est, avaient érigé tout le quartier en carrefour de l’art et de la culture cosmopolites au sein de l’École de Paris qui développa l’art moderne. Entre 1905 et 1939, des centaines d'artistes quittèrent leur pays pour gagner la France, terre d'exil et d’accueil pour de nombreux réfugiés arrivant d'Allemagne, de Poméranie, d'Autriche, de Galicie, de Pologne, de Hongrie, de Tchécoslovaquie, d'Ukraine, de Biélorussie, de Russie, de Lettonie, de Lituanie, ou de Grèce. Juifs pour la plupart, fuyant l'antisémitisme, les persécutions et la répression politique, ils trouvèrent à Montparnasse, non seulement un refuge mais également l’occasion de se confronter au rayonnement du vivier parisien de l'avant-garde artistique. Attirés par ce mouvement culturel, beaucoup d’entre eux, après avoir étudié dans les écoles des Beaux-Arts d’Europe centrale, vinrent poursuivre leur apprentissage en France, y trouver stimulation et inspiration. Ils contribuèrent ainsi au foisonnement créatif et artistique de cette période.

S’étendant entre le jardin du Luxembourg et les abords de Saint Germain des Prés, le quartier fut baptisé " la Ruche " du fait de la configuration de ses ateliers en alvéoles (ancien Pavillon des Vins de l’exposition Universelle de 1900). Cet endroit devint une sorte de village cosmopolite, convivial et fraternel accueillant des artistes venus de partout. La Ruche et ses environs devint ainsi en moins d’une décennie, un des centres les plus actifs d’accueil, de création et, malgré les conditions de vie difficiles, d’épanouissement de ces artistes, presque tous juifs. Ils écriront l'une des plus grandes pages de l'histoire de l'art qui résista au premier conflit mondial mais s'éteignit avec le second. Une exposition itinérante (Paris, New York, Jérusalem) a rendu hommage à ces artistes talentueux de l'École de Paris, déportés, éliminés dans les camps ou rescapés qui n'ont cessé de peindre durant leur internement ou après leur retour. Leurs œuvres variées (peintures, sculptures, dessins et objets décoratifs) mais aussi des documents et photographies avant et pendant l'occupation, retracent leur parcours. Les oeuvres du peintre allemand antinazi Max Ernst ou du français Max Jacob côtoient des artistes moins connus. On ne citera qu’une infime partie de la centaine d’artistes juifs exposés, selon leur origine.

Fiszel Zylberberg, dit Zber, est né à Plotsk (Pologne) en 1909. Après des études de dessin et de gravure à l’Académie des Beaux-Arts de Varsovie, il émigre à Paris en 1936. Il travaille essentiellement la gravure sur bois, les eaux-fortes et la lithographie avant de se consacrer plus tard à la peinture. Arrêté par la police lors d’une rafle, le 14 mai 1941, il est interné au camp de Beaune-la-Rolande. Transféré le 4 juillet 1942 à Pithiviers, il est déporté le 17 juillet à Auschwitz où il est gazé le 26 octobre. Certains portraits ont été exécutés au camp d’internement de Beaune-la Rolande et dans l’hospice voisin. Depuis1991, ils sont exposés au Musée d’art et d’histoire du Judaïsme à Paris.

David Brainin est né à Kharkhov (Ukraine) en 1905. Fuyant une enfance difficile, il part secrètement pour Israël où il vit pendant cinq ans et prend une part active à la vie culturelle locale. En 1924, il arrive à Paris, étudie la peinture, la chorégraphie et la danse. En 1931, Brainin suit pendant quatre ans les cours de l’école des Beaux-Arts où il étudie la peinture avant de se spécialiser dans le décor de films. Arrêté à Paris lors d’une rafle, David Brainin est interné à Drancy le 29 avril 1942, puis à Compiègne où, malgré la vie difficile du camp, il continue à dessiner des affiches pour les spectacles qui y sont organisés, des portraits de prisonniers et de gardiens. Il est déporté le 18 septembre 1942 par le convoi n°34. Il sera assassiné à Auschwitz.

Otto Freundlich est né à Stolp (Allemagne) en 1878. Après une formation commerciale, il s’installe à Munich en 1904, et se consacre à la théorie musicale. Deux ans plus tard, il étudie l'histoire de l'art à Florence et réalise ses premières peintures. Il découvre la sculpture à Berlin en 1907. En 1908, il arrive à Paris. Il y fera la connaissance de Picasso, Georges Braque, Guillaume Apollinaire. Précurseur, il réalise ses premières toiles abstraites en 1911. Jusqu’en 1918, Otto Freundlich voyage entre Berlin, Paris et Munich, prenant part à de nombreuses expositions dont la Nouvelle Sécession à Berlin, en 1910 et 1911. Il participe avec Max Ernst à la première exposition Dada à Cologne, en novembre 1919. En 1936, il fonde à Paris une académie privée, Le Mur, dans son atelier rue Denfert Rochereau. En 1937, suite à l’exposition itinérante organisée par les nazis à Berlin sur l’’Art Dégénéré’’ dénonçant l’art moderne, 14 de ses oeuvres sont détruites. Lorsque la guerre éclate, Freundlich, sujet allemand, est arrêté et interné à Francillon. En mai 1940, il se réfugie dans les Pyrénées orientales, chez une famille de paysans. Dénoncé, le 23 février 1943, Otto Freundlich est arrêté. Il est déporté le 4 mars 1943 par le convoi n°50 et assassiné à Maïdanek.

Moyse Kogan est né en Bessarabie (Roumanie) en 1879. Il devient chimiste. En1903, il se rend à Munich pour se consacrer à l’art. Pour survivre, il crée de la broderie et des médaillions. Devenu membre de l’Association des Nouveaux Artistes à Munich, il participe à l’exposition du groupe en 1910 et 1911. En 1910, il part pour Paris où il reçoit les encouragements du sculpteur Maillol dont l’oeuvre l’influencera beaucoup. En 1925, Kogan est élu exceptionnellement pour un étranger, vice-président du Salon d'Automne. Lorsque la France est occupée par les Allemands, il est arrêté, déporté et tué. Ses plus belles œuvres sont des figurines de terre cuite et des visages délicats taillés dans le calcaire ou le bois, ainsi que des lithographies.

Haïm Soutin est né près de Minsk (Lithuanie) en 1893. Il dessine et peint depuis son enfance : cela lui donne l’espoir de sortir du ghetto. Haïm Soutin, se rend à Minsk pour prendre des leçons de dessin, puis à Vilna en 1910, pour suivre des cours de peinture à l’école des Beaux Arts pendant environ 3 ans. En 1913, il arrive à Paris et s’installe dans le XIVème arrondissement. Il rentre à l’école Nationale des Beaux-Arts puis loue un atelier à la Ruche. Il côtoie Zadkine, Modigliani et Chagall. Vivant dans une grande pauvreté, Soutine essaye même de se pendre. Il peint des natures mortes et plus tard des portraits. Le 15 juin 1940, les troupes allemandes rentrent dans la ville d’Auxerre. Soutine est arrêté, accusé d’espionnage et amené à la gendarmerie, mis au pain sec et à l’eau pendant 10 jours. Il est libéré provisoirement mais doit rester à disposition des gendarme pour être jugé prochainement. En 1941, se sentant menacé, il trouve refuge dans le village de Champigny sur Veude près de Chinon. Là, il continue à peindre des paysages, des portraits. En 1942, Soutine est recherché. Il a un dossier au "Service des Juifs". Fin juillet, sa santé se détériore, il ne peint plus. Il meurt le le 9 août 1943 des suites de son ulcère. Deux jours plus tard, il est inhumé au Cimetière de Montparnasse sous une pierre tombale qui ne porte pas l’étoile de David.

Ossip Lubitch, est né à Grodno (Biélorussie) en 1896. Il fait ses études d’art à Odessa avant de se rendre à Berlin puis à Paris. Auteur en 1934 d’un portfolio intitulé Cirque, il poursuit une oeuvre originale. Ne se déclarant pas Juif en 1940, il se cache. Il est dénoncé quatre ans plus tard et envoyé à Auschwitz d’où il reviendra. Isaac (Iso) Schoenberg est né à Colmar (Alsace) en 1907. Sa famille originaire d’un shtetel de Galicie s’était installée en France pour fuir l’antisémitisme. Issu d’un milieu orthodoxe, le jeune Isaac s’inscrit aux Beaux-Arts de Francfort et apprend la gravure, la peinture sur soie et la miniature. En 1934, il arrive à Paris, où il visite les musées et accumule les petits métiers ; pianiste dans un bar le soir à Montparnasse, le jour, il dessine sur des cravates en soie et vend des timbres. Le 14 mai 1941, il est arrêté à Paris par la police française. Interné au camp de Pithiviers, il réalise des portraits de détenus d’après photo. Souvent, il accompagne ses dessins de notes de musique. Il écrit de nombreuses lettres. Le 25 juin 1942, il est déporté par le convoi n°4 et assassiné à Auschwitz cinq semaines plus tard.

Vibrant hommage à ces artistes juifs disparus dans la tourmente, cette exposition honore leur mémoire.

 

Noémie Grynberg 2006

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Commentaires

  • Yagil Limore

    1 Yagil Limore Le 13/10/2011

    Bonjour,
    Votre site est de la désinformation. Chagall, Soutine ne sont pas mort en déportation ou arrêtés par Vichy, Otto freudlich n'est pas juif.
    Plus de 60% des peintres de l'Ecole de Paris ont survécu cachés principalement en France. Seule une minorité a été déportée et a trouvé la mort dans les camps d'extermination.
    A lire mes différentes publications et articles concernant les artistes juifs sauvés en France sous Vichy.
    Je vous rappelle par ailleurs que selon l'historiographie 75% des Juifs en France ont survécu en France et ont été sauvé. Cela signifie que 75,000 soit 25% des juifs en france ont été déporté.
    Lorsqu'en publie des informations, sur un site internet il faut présenter la vérité.
    Limore Yagil, professeur des universités, auteur des livres: Chrétiens et Juifs sous Vichy: sauvetage et désobéissance civile, préface de Yehuda Bauer, Cerf 2005 et auteur de La France terre de refuge et de désobéissance civile 1936-1944: l'exemple du sauvetage dfes juifs, Cerf 2010-2011, et à paraître en 2012 "Artistes juifs et non juifs sous l'Occupation exemples de sauvetage et de désobéissance civile.
    Cordialement
    Limore Yagil
  • Youri Abdourahmanov

    2 Youri Abdourahmanov Le 18/10/2012

    Soutine est né en Biélorussie, Empire Russe, et pas en Lituanie. Smilovichi, son village natal, se trouve à 30 km de Minsk, capitale biélorusse.
    D'ailleurs, un autre peintre de l'Ecole de Paris, Faibich-Shraga Zarfin, etait né lui aussi à Smilovichi.
    Bien à vous, Youri Abdourahmanov
  • l.lachenal

    3 l.lachenal Le 21/11/2012

    Il manque ici le nom du peintre pourtant très connu Léon WEISSBERG : né en Galicie en 1895, mort au camp de Maïdanek en 1943, figure emblématique du Montparnasse des années 1920/30, ami de Kikoïne et de Mané-Katz, il a été le fondateur du prestigieux Groupe des Quatre avec MENKES, ABERDAM et WEINGART.
  • Mosler

    4 Mosler Le 02/05/2018

    Merci de nous signaler ces quelques erreurs qui mériteraient modification.
    Malgré tout cet article est très intéressant et instructif.

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